V. Histoire:Une musique résonne dans toute la pièce claire.
La grande fenêtre aux rideaux blancs laisse percer des rais de lumières qui emplissent la chambre d’un halo de clarté. Dans la petite boite en pin aucun objet n’a été déposé, sur sa minuscule estrade la petite dame en tutu et tout de plastique composée reste figée mais tourne sur elle-même comme par enchantement. Deux yeux presque aussi haut que la ballerine l’observent avec des éclats de soleil qui brillent d’émerveillement. Accroupie face à la table une petite blondinette aux cheveux longs reste là ébahie par le spectacle lilliputien.
Eloïse n’est alors qu’une enfant insouciante en qui ses parents placent un grand espoir d’avenir. Son père aurait dût être un homme assez haut placé de par son héritage familial mais il n’avait su garder ce prestige. Sa mère, quant à elle était autrefois une femme charmante qui avait eu le béguin pour cet homme maladroit et peu assuré.
Eloïse ! Arrête de rêvasser comme une idiote et dépêche toi !Oui, était.
La jeune ingénue alla farfouiller dans son armoire, sa mère avait quitté l’encadrement de la porte, heureusement sinon elle aurait chicané sur le bazar que la fille mettait. Elle débusqua sa tenue de fille modèle, celle que sa mère aimait bien, pour éviter les ennuis.
Tout ce qu’elle voulait c’était être tranquille et là il fallait aller à une réunion habituelle de petits bourgeois, non pas qu’ils en fassent partie.
Papa s’était donné beaucoup de mal pour qu’on les y tolère, ça faisait plaisir à sa femme, mais il redoutait peut-être autant que sa fille ces rassemblements de populaces haut placées. Cette journée ne fut pas plus glorieuse que les autres, la jeune fille à la robe nouée dans le dos était restée à folâtrer dans le jardin alors que beaucoup d’autres bambins allaient courir en tout sens.
Une fois rentrée de cet après-midi peu enthousiasmant, l’enfant va retirer sa robe et enfiler son juste au corps pour le cours de gymnastique rythmique que sa mère l'avait obligé à pratiquer trois fois par semaine, elle avait en contrepartie de sa mauvaise santé une hyperlaxicité assez incroyable et sa génitrice espérait que la petite sache en tirer profit et rendre cet aspect peu attrayant se transforme en une discipline noble et belle à voir. La petite n’aimait pas fort cette discipline, ça sert à rien pensait-elle. Mais sa mère insistait sans cesse, la corrigeait sur ses postures de la vie courante, lui faisait travailler son « art » chaque jours quelques heures.
Lorsqu’elle faisait une bêtise ou quelque chose qui s’y rapporte, elle était cloîtrée à double tour dans sa chambre et sa fenêtre était fermée car donnant sur le jardin du premier étage. Même en dehors de ses instants qu’elle supportait de plus en plus mal, notre poupée était faite de porcelaine et trop fragile que pour pouvoir aller batifoler de ci de là dans le jardin. Parfois son père prenait un peu de son temps pour l’emmener faire une promenade dehors mais il était de plus en plus prit par son travail. Une petite routine composée de moments qui l’effrayent et d’autres qui la rendent heureuse.
Voilà, çà, c’est la vie d’Eloïse Castyl.
Sa vie changea du tout au tout lorsque à sa majorité elle partit, un peu sur un coup de tête, elle embrassa son père avant son départ, et voilà. Un sac avec de quoi tenir quelques jours une ou deux tenues de rechange (les plus simples), et c’était emballé. Quand on est décidé à recommencer sa vie on n’embarque pas toute sa maison, il faut un vrai départ à zéro.
L’oiseau avait quitté le nid peu après son anniversaire, à la fin de l’été, mais c’est lorsque l’hiver arriva et que tout devint plus dur et glacial, avec sa santé fragile elle ne pouvait se permettre de dormir dehors ou de rester pétrifiée par le froid, et trouver un endroit chauffé où loger devenait difficile.
Le volatile perdu qu’elle était risquait de geler en plein vol si ça continuait.
Un soir de grand froid, grelottante, elle aperçut un chapiteau pouvant offrir un endroit chaud pour quelques heures de prestations. La jeune fille faisait une tête de moins que la majorité de la foule, réussit à entrer dans ce petit nid douillet éphémère.
Black-out.
Un large faisceau lumineux irradie un homme au costume typique d’un halo clair. Son regard fut captivé et ne cessa de l’être jusqu’à la fin. Jusqu’au font de ses chaussures elle continuait de grelotter même avec le chauffage, tout au fond de son être, elle était de plus en plus bouleversée par le spectacle. En bas des comiques se tournent en ridicule pour faire rire, en haut des acrobates risquent leurs vies pour faire briller cette étincelle dans les yeux des gens, et dans quelques jours ils s’en iront tous après avoir éblouit la vie de tant d’inconnus.
A la fin de la représentation, Eloïse ne trouvait pas la force de se lever et resta assise alors que tous étaient partis. Elle finit par s’endormir là, lourde de fatigue et sereine grâce à ce qu’elle avait vu. Nouveau Black-out. Mais là ce n’est plus du spectacle.
Concrètement c’est ce soir là qu’Eloïse Castyl disparut complètement et peut-être à jamais de Tyr
Lorsqu’elle se réveilla encore un peu fiévreuse c’était dans une caravane meublée de toutes sortes de fantaisies et costumes, n’osant toucher à rien ni se lever du lit dans lequel elle était couchée, la seule chose qu’elle trouva à faire en attendant le retour de son hôte, fut de prendre une feuille de papier et un crayon dans son sac. Il eut un peu d’agitation au dehors puis un jeune homme fit son entrée un plateau en mains.
Une fois la porte passée, toute l’atmosphère du lieu changea. Immobile, la jeune fille observa la chevelure inconnue entrer retirer dos à elle. Elle entraperçut son visage barbouillé de couleurs et d’un large sourire. Au fond d’elle quelque chose fut brusqué par cette image, elle ne réussissait pas à décrocher son regard, pourquoi donc ? Comme une sorte d’électricité ambiante qui l’attirait et persuadait tout son être qu’il ne pouvait être autrement que beau et bon sous toute cette peinture. Son regard captif rencontra un instant celui de l’inconnu qui se pencha pour lui mettre le plateau sur les genoux.
Mange et repose-toi, Ang-ying.Eloïse n’était pas habituée à rencontrer de nouvelles personnes, au mieux elle les avait croisés dans la rue sans plus, mais là c’est tout différent. Ses yeux coururent sur les aliments, pas assez courageux que pour rester sur ceux qui fixaient la poupée qu’elle était et tout aussi fragile. Il n’avait aucun besoin de lui expliquer la situation, elle l’avait bien devinée, ce qui la rendait encore moins capable de le regarder en face. Mais une question vint emplir son esprit : Ang-ying ? Elle saura peut-être un jour pourquoi il l’a appelée comme ça. Ce n’était peut-être pas si mal, Eloïse avait été dépassée, portée disparue sur les bancs du chapiteau, ce réveil était une sorte de renaissance. Une nouvelle vie.
Merci...Bien évidemment elle lui devait beaucoup plus que ceci : si elle n’avait pas atterrie ici et qu’elle aurait passé une nuit de plus dehors dans cet état, elle n’aurait plus eu ni l’occasion ni la capacité d’être gênée ainsi. Elle ne se sentait tout simplement pas capable de s’exprimer beaucoup plus.
Ils étaient deux à veiller sur son petit être de porcelaine fissurée et éffritée, deux à vivre dans le monde de cette toute petite roulotte. Ils ne se ressemblaient pas du tout mais en même temps il y avait quelque chose qui faisait qu’ils ne pouvaient qu’aller de pair.
Quelques jours plus tard, une fois remise sur pieds elle dut défendre sa présence sous le chapiteau et aussi dormir ailleurs, il était normal que la jeune fille ne s’installe avec deux hommes. C’est là qu’elle commença à effectuer les tâches simples qu’on voulait bien lui confier. Tantôt elle apportait la nourriture aux animaux, tantôt elle gonflait des ballons et ainsi de suite.
A vrai dire elle n’a jamais put s’attacher à personne d’autre que ses parents, enfant trop fragile pour sortir de la demeure, une petite chose en verre qu’il ne faut surtout pas briser, que donc personne ne peut approcher. Enfant, la peur de ses parents avait finit par l’habiter aussi, mais maintenant qu’elle était dehors elle se rendait compte que c’était dur certes mais tellement fascinant ! Pendant les spectacles elle ne pouvait s’empêcher de regarder entre les draperies, et après tant de cabrioles c’était à son tour d’être seule en scène… et de passer un coup de balais en s’imaginant voler là haut avec tout les autres.
Cesse donc de rêver, il faut travailler si tu veux rester ici.
Toujours assignée au même travail de fin de spectacle, Lara finit par essayer d’imiter ce qu’elle voyait quelques heures plus tôt. Les années de pratique de la gymnastique semblaient finalement utiles. Et ainsi encore et encore, de plus en plus souvent.
Durant les spectacles elle épiait leur mouvements, leur grâce, et les sourires qu’ils offrent tous à ces inconnus. A ces visages qu’ils ne reverront sûrement jamais, c’était là tout ce qu’elle voyait à travers ces cabrioles et ces danses, un cadeau.
Cléo. C’est celui qui l’a recueillie dans ce monde à part. L’autre c’était Cléanthe.
Ils l’avaient recueillie et s’occupaient bien d’elle, chacun à sa façon. Elle les croise parfois mais Cléo, elle le voit souvent de loin passe quelques petits moments avec lui, il ne parle pas, elle ne lui parle donc pas énormément non plus. La très récemment, surnommée Ang-Ying avait vite noté ce détail au début, il ne parle pas beaucoup, au fond c’est pas si mal, avec elle qui n’a pas encore assez d’assurance pour s’exprimer couramment. Elle se considérait comme la petite poupée cassée qu’il avait trouvé, et qu’ils avaient remise en état à deux. Une poupée qui dans cet univers rocambolesque commençait à se sentir de plus en plus chez elle, bien. Avec Cléanthe c’était différent il parlait déjà plus, c’est un peut grâce à lui qu’elle finit par s’exprimer un peu. Puis un peu plus… même s’il était un peu étrange, quelque chose sonnait faux par instant, mais ce n’était pas ça.
Chaque fois que Cléo approche elle sent cet étrange attirance impalpable, elle aime bien cette sensation, elle s’y est habituée peu à peu, ce « bizarre » fait partie de lui, c’est comme çà qu’elle le connait. La jeune femme qu’elle était avait, avec ce clown, trouvé un pilier. Ces appuis qui lui manquaient depuis son départ. Comme elle dessinait souvent, Lara avait plusieurs fois essayé de le représenter mais il n’y avait rien à faire, impossible de mettre ce magnétisme sur une feuille de papier, après quelque tentatives elle finit par renoncer. Cléanthe par contre c’était moins compliqué, car il n’y avait pas d’impalpable qui l’entourait, après un moment il se montra un rien moins jovial avec elle, pas beaucoup mais assez pour qu’elle puisse le remarquer. Après tout elle avait débarqué dans leur vie comme un oiseau s’écrasant au milieu d’un plaine pour enfants.
Presque un an après son arrivée, elle put pour la première fois participer au spectacle laissant l’ombre des rideaux pour rencontrer la clarté des spots. Une idée de Cléo, lui et Cléanthe avaient avancer cette idée au chef ensemble. Evidemment il y avait le stress et des préparatifs, un nouveau numéro ne peut être monté en un claquement de doigts. Tout d’abord il fallait prendre le temps de s’entraîner pour bien connaître son rôle Cléo y accordait beaucoup d’éfforts et d’importance. Ensuite le costume, elle n’avait aucun costume vu qu’elle n’avait jamais mit un pieds dans la lumière. Ses deux gardiens lui avancèrent de quoi le payer malgré ses poches vides. Mais elle devrait les rembourser et il fallait qu’elle puisse se débrouiller seule après.
Un faisceau de Lumière l’aveuglait à moitié devant les gens qui applaudissent, elle était habillée d’une tenue de poupée et cachée par un masque de poupée de porcelaine. Pour sa première prestation elle serait la comparse de Cléo le Clown.
Une poupée désarticulée gît au milieu de la scène,
un Clown aux vêtements colorés arrive
Il remarque la poupée abandonnée là.
Il s’approche et l’observe puis lui soulève les bras
essaie de la mettre sur ses deux pieds, elle s’écroule.
Sans aucun son hormis la musique de fond, il semble intrigué
et cherche un mécanisme à réparer.
Une impression de déjà vu peut-être ?
Il ne voit aucun changement et la pousse vers l’avant.
Essaie de lui mettre une jambe derrière la tête. Aucune réaction.
Il se retourne face au public avec une moue dépitée.
Et essuie un coup de pieds au postérieur.
La scène continue ainsi, le Clown essuie quelques coups finit par esquiver une partie et le public rit aux éclats à chaque tentative. La magie opère et la poupée en question n’en est que plus ravie sous son masque. Elle est pliée en tout sens comme une simple poupée de chiffon.
Lorsque le Clown finit par aller faire la tête dans un coin,
La poupée ôte son masque et dévoile un visage humain
Mais qui n’en ressemble pas moins à une poupée.
Le Clown la remarque et surprit, fait de grands gestes.
La chute de ce petit gag arrive maintenant.
Le clown assène un coup de pied au postérieur de la Poupée vivante.
Elle s’écroule et le temps de se relever le coquin a prit la fuite.
La scène s’obscurcit, et la lumière revient éclairant les deux comparses qui saluent et s’en vont retrouver les ténèbres des rideaux. Une fois aspiré par cette obscurité ils quittent leurs rôles, mais Lara n’a pas eut à jouer vraiment, du moment qu’elle offre ces sourires, elle pourra être n’importe quoi : elle restera là pour voir cet éclat magique dans leurs yeux.
Mais, Cléo, lui, avait réellement un masque, elle avait déjà entrevu cela en l’observant jouer entre les draperies, une fois sur scène avec lui elle était aux premières loges. Voyait ce changement que le public était incapable de deviner, ils ne le connaissent que sur cette scène le temps d’un fou rire et ils ignorent complètement l’éxistence de celui qui vit derrière les rideaux..Au fond, elle sait bien qu’elle ne le connaît qu’à peine, lui doit sûrement avoir apprit à la connaître depuis, mais elle ne pouvait que « deviner » les choses. Sans certitude. Mais même ainsi elle s’en contentait et s’en contentera encore.
Après cette petite prestation il en eu d’autres, et au fil du temps elle s’ouvrit peu à peu, réussit à demander qu’on lui apprenne d’autres choses, d’autres tours, le danger, la voltige.
Près d’un an et demi plus tard, Cléo disparut sans prévenir. A partir de ce moment, elle avait comme un trou au fond d’elle, commença à rester des heures à ne rien faire et rêvasser. Découvrant le pouvoir de l’imagination elle s’y prit tellement qu’elle ne fit plus qu’un avec ses rêveries fantasmagoriques, commençant à tenter de mettre sur papier ces images fantaisistes et hautes en couleurs. Elle découvrit un autre univers, qui n’appartenait qu’à elle et où tout lui était permit. Mais au final elle s’y était perdu, quelques mois à peine plus tard, il fut comme un rappel à la réalité.
Rien ne peut remplacer une personne importante, évidemment. Et encore moins deux.
Ce monde n’était pas un alternative de remplacement, c’était une découverte qui était tout autre chose, à laquelle elle ne s’accrochait que plus à cause de ce trou mais ce n’était pas la solution elle s’en rendit compte à présent. Elle continua néanmoins sa vie au cirque car elle ressentait le besoin d’apprendre à ces gens qui la regardaient à rêver, voir briller cette étincelle au fond de leurs yeux était presque sa raison de vivre. Cette période de l’autre côté du réel n’avait évidemment pas été sans impact, elle se força à ne pas y sombrer à nouveaux, y volant quelques éléments pour améliorer la réalité. Lui donner de nouvelles couleurs, un nouveaux parfum, un monde où elle peut voler.
Funambule sur la limite du réel et de l’irréel.
Le cirque continua à vivre et à faire rire pour débarquer à Sécaria, mais une fois sur place Cléanthe s'envola à son tour. Devait-elle y voir un rapport avec l'acienne disparition de Cléo?
A chaque instant menaçant de chuter d’un côté ou de l’autre. La question est de savoir quand.