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 Maison de Rodrigue ¤ "Lève-toi et marche"

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Rodrigue Llorandes

- Un dernier verre ? Mmh ? - Innocent perverti

Rodrigue Llorandes

Signalement : Hume, la trentaine, carrure solide, 1m85, cheveux noirs, yeux bleu pervenche, cicatrice sous l'oeil gauche.


Maison de Rodrigue ¤  "Lève-toi et marche" Vide
MessageSujet: Maison de Rodrigue ¤ "Lève-toi et marche"   Maison de Rodrigue ¤  "Lève-toi et marche" I_icon_minitime07.05.09 21:23

[Ou : "The very merry adventures of Caleb in the killer's pretty nest" ou "MORT DE LOL FTW" ]



Rodrigue ouvrit le robinet, et regarda quelques instants l’eau couler avec un chuintement lancinant dans le lavabo, avant de glisser ses mains sous le jet tiède. L’eau se colora en rouge, criblant de points écarlates la surface jusque-là immaculée du bac de porcelaine. Il se frotta les mains presque rageusement. Le sang était toujours aussi difficile à nettoyer.

Il eut une légère quinte de toux, et une grimace se dessina sur son visage exténué. Cela faisait une heure qu’il avait franchi les portes du nord de Secaria, traînant un cheval prêt à mourir d’épuisement par la bride, et sur ce cheval un homme d’influence pas très loin non plus de la mort. Jamais il n’aurait pensé arriver en vie à la capitale ; il fallait croire que l’adrénaline avait eut raison de son abattement ; il avait fait pratiquement tout le trajet à pied –en traînant des pieds, en fait – et là, il était encore capable de se tenir debout. Il n’avait pas poussé l’expérience jusqu’à tenter de rejoindre le D-Bar, de l’autre côté de la capitale ; il s’était directement arrêté chez lui, dans le quartier nord.
Rodrigue se sécha les mains. Il n’était pas encore temps de se reposer, contrairement à ce que hurlait chacun de ses muscles ; il était déjà ressorti pour confier le cheval à une écurie proche, où un écuyer ne s’était pas privé de manifester son indignation relativement à l’état de santé de la bête, sans paraître s’inquiéter outre-mesure des vastes éclaboussure de sang qui noircissaient le manteau du Lespurien. Ce dernier, trop fatigué pour répliquer, avait machinalement donné tous les carats qu’il avait sur lui au responsable et s’en était allé avec une démarche proche de celle d’une goule en phase terminale.
Présentement, il se sentait incapable de se dire avec sérénité « c’est terminé » ; c’est pourquoi il récapitulait lentement et indéfiniment ce qu’il lui restait à faire ; donner à manger à Chips, c’était fait – d’ailleurs celui-ci avait décidé de faire une sieste dans son salon, affalé de tout son long sur le canapé. Rodrigue leva précautionneusement ses yeux cerclés de noir vers l’escalier en colimaçon qui menait à sa chambre, et soupira. Et il y avait lui. Muni d’une bassine et d’un broc, il monta patiemment les marches.
Sa chambre était tout ce qu’il y avait de plus dépouillé : on n’y trouvait qu’un lit, une table de chevet vide, une petite étagère agrémentée de quelques livres d’aspect ancien et d’un coffret noir. Il faisait sombre et chaud, à l’intérieur, car l’unique fenêtre ronde qui perçait le mur était voilée d’un épais rideau. Rodrigue plissa légèrement les yeux, et déposa doucement son chargement sur la table de nuit. Lorsqu’il se redressa, ses coudes émirent des craquements courroucés auxquels il ne prêta pas attention ; son regard s’était porté sur Caleb, qui reposait dans son lit. Il tendit un peu vivement le bras vers sa gorge. C’était devenu un geste presque compulsif : il vérifiait régulièrement son pouls, inquiet de ne jamais entendre distinctement sa respiration. Mais le Techie était bel et bien vivant. Profondément endormi, mais entier. Cette fois.

Rodrigue croqua un sourire dégoûté, et n’en pouvant plus, il se plaça avec quelques précautions au pied de son lit, assis dos au sommier. Il reposa sa nuque contre le matelas, et soupira tout en abaissant ses paupières lestées de plomb. Il récapitula encore, machinalement : les vêtements de Caleb, ils étaient dans sa buanderie, prêts à être lavés dès qu’il aurait la force de retendre la main vers eux ; il avait étalé sur une table sa collection personnelle d’antalgiques (il avait avalé trois comprimés au passage), et avait dégoté l’adresse d’un médecin à contacter dès que possible…Ensuite, il faudrait…
Le Lespurien s’arrêta, à court d’idées. Il considéra le calme pesant de sa chambre, la tiédeur familière de sa maison, comme s’il les voyait pour la première fois. C’était terminé, fini. Enfin, le silence, la rigidité rassurante du monde des autres…Sur ce constat, Rodrigue ferma les yeux et s’endormit presque aussitôt.



Cinq jours plus tard, c’était pratiquement le même tableau.

Caleb ne s’était pas réveillé, sa fièvre était toujours tenace et de surcroît jalonnée de crises de délire particulièrement troublantes. Le médecin que Rodrigue avait traîné jusqu’au quartier nord faisait partie des clients du D-Bar, auquel les Balayeurs faisaient appel lorsqu’une « proie » s’était montrée bien plus coriace que prévu. Le vieil homme lui avait jeté un regard oblique, avait grommelé quelque chose à propos « d’arcanotechnologie » et de « cœur » avant de lui adresser à haute voix quelques remontrances bourrues et bien plus de recommandations médicales à l’égard du Techie. Puis il était parti, en promettant « sur sa dette envers Mancuso », de ne pas ébruiter la nouvelle.
Au rez-de-chaussée, vers une heure de l’après-midi de ce cinquième jour, Rodrigue accordait un peu de son temps au reptomarsupial, qui lui avouait à grands « kwi » son ennui. Le Lespurien, torse nu, était assis sur un tabouret et lançait avec moult feintes et sifflements d’encouragement des chips que la bestiole du patron attrapait au vol avec une agilité défiant toutes les lois de la physique. C’était une façon de consoler Chips ; sinon, il passait la plupart de ses journées à l’étage, à surveiller de son œil vert et silencieux le repos de son maître.
Et Rodrigue devait bien avouer qu’il n’agissait pas très différemment, mais pour d’autres raisons. Cinq longues journées de menus travaux ménagers n’étaient pas parvenues à effacer de son esprit la mésaventure du laboratoire ; ou du moins, s’il avait réussi avec son habileté coutumière à refouler toutes ses hallucinations dans un pli de sa mémoire, il était toujours incapable de chasser définitivement de ses pensées les images qui prouvaient, malgré leur absurdité profonde, que Caleb lui avait sauvé la vie. Quasiment au péril de la sienne.
Une lamelle de pomme de terre grillée se brisa entre ses doigts. Et à cela succédait l’idée, plus dérangeante s’il en était, que si son patron se trouvait dans ce lit à flirter indécemment avec la mort, c’était de sa faute. Sa faute à lui, injustifiable dans toute son abjecte démence.

« Kwi famiiine ! Kwi nindigennnnce ! »

Rodrigue émergea de ses réflexions, étira un sourire, et lança un nouveau projectile de son bras valide. Le médecin avait appliqué un vaste pansement sur son omoplate gauche, et les bandelettes qui servaient à maintenir la compresse en place barraient sa poitrine. Qu’avait-il dit, déjà ? « Votre brûlure a la forme d’une main, savez-vous ? ». Il s’était retenu de rire ; mais il avait surtout espéré sur l’instant qu’il ne garderait pas à vie une marque aussi terrifiante sur son dos. Maintenant, il en était à quatre comprimés d’antalgiques qui, en-dehors d’ouater délicieusement la douleur qu’induisait ses blessures, lui faisait l’effet d’une plongée au fin fond d’un lac calme et tiède – jamais ses barrières mentales contre son don n’avaient été si aisées à lever.
Rodrigue laissa le paquet de chips au reptomarsupial, qui retourna s’installer sur le canapé (sa nouvelle place force, sauf quand Rodrigue décidait d’y dormir (et encore)) en se dandinant fièrement, le bec levé tenant son trophée de la demi-heure. Le Lespurien bâilla, fit jouer délicatement les articulations de ses épaules en inclinant la tête.
Il avait du mal à mettre des mots sur ce qu’il éprouvait. La présence de Caleb et de Chips chez lui avait quelque chose d’inédit, et par conséquent de dérangeant ; néanmoins, il était désormais forcé de réviser son jugement de la situation : il était, au contraire, fasciné. Rester assis sur une chaise à veiller sur le sommeil de son patron, à éponger son front couvert de sueur, ou à bloquer ses bras contre son corps lorsqu’il s’agitait trop pour son propre bien… c’était captivant, inexplicablement. Peut-être, parce qu’il avait une vie à préserver, pour une fois. Gratuitement. Et cette nouveauté s’était insérée dans son quotidien avec un naturel déconcertant, si bien qu’en se réveillant le matin, il doutait l’espace de quelques secondes que ce fût vrai. Ce qui lui fournissait son premier prétexte de la journée pour rester à ce chevet à le regarder dormir, et perpétuait ainsi son inépuisable cycle de stupéfaction fébrile.

Rodrigue réitéra un soupir. Et à l’instant précis où il se levait de son siège, un hurlement retentit dans la maison. Un frisson parcourut l’échine du Lespurien, et il porta son regard souligné de cernes vers l’escalier. Caleb avait un nouveau délire. Le barman fit signe à Chips de rester où il était, et grimpa quatre à quatre les marches. La chambre était toujours aussi sombre ; et dans le lit, le Techie semblait se débattre avec sa couverture et poussait des cris et des gémissements terrifiés. Rodrigue se rapprocha, les sourcils froncés, et éleva les mains pour tenter de capturer les poignets de Caleb. La première fois qu’il l’avait touché de cette façon, le trafiquant s’était débattu de plus belle en criant ; mais il n’était pas près de le laisser s’agiter ainsi. Il avait déjà cassé d’un revers de main un pichet, et s’était blessé plusieurs fois en heurtant le mur ou les montants du lit dans sa lutte invisible.

« Caleb ! Du calme, par l’Etat…Patron ! »

Il se doutait un peu que l’appeler ne le tirerait pas de son sommeil – il était déjà essayé, et très longtemps. Mais il préférait couvrir sa voix, pour ne pas (tout) comprendre de ce qu’il disait. C’était aussi indécent que de pénétrer ses rêves – ses cauchemars, en l’occurrence. Et il ne voulait plus de ça. Plus maintenant qu’il avait l’impression d’être quelqu’un de normal.
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Caleb Mancuso

- Attachiant de service - Punching-ball adoré!

Caleb Mancuso

Signalement : Hume Evolus d'environ trente ans, pas très grand (1m72) et peu épais en ce moment, cheveux châtains, yeux noisette, bel homme, vêtements de très belle facture, pas de cicatrice visible quand il est habillé à part une entaille en virgule sous l'oreille gauche


Maison de Rodrigue ¤  "Lève-toi et marche" Vide
MessageSujet: Re: Maison de Rodrigue ¤ "Lève-toi et marche"   Maison de Rodrigue ¤  "Lève-toi et marche" I_icon_minitime28.05.09 1:46

[/!\ Le cauchemar qui suit est du genre costaud, les âmes sensibles devraient passer leur chemin.]





Caleb s'était perdu.

Au début, un court, très court instant, il avait su. Juste après l'explosion, lorsqu'il avait vu à travers des yeux qui auraient dû être les siens, qui à cet instant étaient les siens, qu'il était en train de mourir. Que ses jambes avaient été arrachées. Que seul son manteau imbibé de sang lui épargnait la vue de ses propres entrailles répandues sur la neige. A cet instant, il avait su, il avait senti s'inverser le flot magique qui traversait son véritable corps, il avait compris que le voile reprenait ce qu'il lui avait donné, mais trop vite, trop fort, parce que son double mourait, parce qu'un morceau de lui mourait avec son double et que quelque chose n'allait pas avec sa magie, quelque chose n'allait pas avec son implant. Du sang, du sang partout, son sang. Son corps. Son coeur, dans lequel il avait perçu que quelque chose se bloquait, aussi sûrement qu'il avait ressenti le craquement dans sa colonne vertébrale arrachée. Bloqué. Son générateur, bloqué. Coincé par le flux d'énergie qui fuyait ce reflet en morceaux, en entraînant l'esprit du Techie avec lui. Il devait le refermer pendant qu'il le pouvait, il devait absolument le refermer, là, tout de suite, le...

Le clone était mort. Caleb avait perdu connaissance, coincé dans la déchirure magique qu'il avait lui-même ouverte. Et lorsqu'il avait enfin pu s'en extirper et réintégrer son propre corps, il était trop tard. Son implant en surchauffe avait fait grimper la température de son sang de plusieurs degrés, étouffant ses neurones dans une canicule qui ne leur permettait pas de fonctionner.

Alors, Caleb s'était perdu.

Dans sa propre tête.

Il ne savait pas depuis combien de temps. Sans doute quelques années. Il avait commencé à marcher, et il ne s'était plus arrêté. Il errait dans des couloirs immenses, hauts de plafond comme ceux de l'orphelinat, jalonnés de conduits de vapeur, de chaudières. Régulièrement, une porte apparaissait sur l'un des murs penchés. Au début, il n'osait pas s'en approcher. Puis, fatigué de ne plus se rappeler ce dont il devait se souvenir pour trouver la sortie, il avait consenti à les ouvrir. Une par une. A la recherche de sa mémoire. A la recherche de ce qu'il avait su.

Parfois, il se rappelait presque. Il entendait la voix de Rodrigue, et il se disait qu'il était au D Bar, qu'il avait trop dormi et raté l'heure d'ouverture. Il appelait le Lespurien, dans ce monde qu'il ne retrouvait plus, il lui ordonnait de vérifier que le Gerety était bien au frais, ou que la caisse de la veille avait été vidée, parce qu'il fallait éviter de tenter les... les...

... Merde. Qu'est-ce qu'il disait, déjà?

...

Aucune idée. Alors il recommençait à marcher. Et à ouvrir les portes.

Elles lui plaisaient de moins en moins, les portes.


    Attiré par les p’tits loqueteux ? Un bon gars aussi impec’ que toi ? J’aurais pas cru.


Oh, parfois il se sentait presque bien. Il s'asseyait un moment, pour se reposer, et il avait l'impression de ne plus être tout seul. Mais c'était agréable, comme sensation. Une présence rouge, douce. Une magie qui allégeait un peu celle qui pesait sur ses épaules et sa poitrine. D'autres fois, c'était plus violet, bleu pervenche, et c'était moins rassurant. Mais comme ce n'était pas aussi menaçant que quand on le laissait seul, après tout...

    C'est ta première fois, mon lapin? Je parie que c'est ta première fois. En tout cas, la première fois que c'est toi qui le veux, hein? Je connais. T'inquiète, je connais.


Sauf que depuis quelques mois, il avait du mal à avancer. Le sol devenait inégal, délabré. Les murs se lézardaient. Les conduits de vapeur se faisaient plus nombreux, plus proches, avec davantages de fuites. Les poignées des portes étaient froides, gluantes. Il commençait à avoir cette drôle d'impression de tourner en rond, de marcher dans ses propres traces.

On le suivait.


    Il ne t'aiment pas. Ils ne t'aimeront jamais, personne sauf moi n'arrivera à t'aimer, parce que tu es malade et que les gens ne veulent pas s'occuper de ceux qui sont malades. Alors il faut qu'on reste juste tous les deux, tu comprends champion?


On le suivait. Derrière-lui c'était noir, terriblement noir, brûlant de vapeurs d'un vert émeraude, et ça avait un sourire gigantesque, ça avait des crocs jaunes, pourris jusqu'à la racine, ça avait de longues griffes décorées de chair morte, ça sentait le cadavre, ça bavait du poison et c'était derrière-lui, de plus en proche derrière-lui.

Il courait, à présent.

Une autre porte. Il était proche du but, il était forcément proche du but, sinon ça n'aurait pas commencé à le traquer. Alors même s'il avait peur, il poussa le battant de bois noir. Mais lorsqu'il vit


    les douches non pas ça pas ce jour-là je veux oublier oh pitié laissez-moi oublier


ce que la porte dissimulait, il changea d'avis, il changea complètement d'avis. Il recula, chercha à s'enfuir. Mais

    le copain de Kyle venait de partir il sentait le parfum bon marché du surveillant sur la chemise contre laquelle était pressée son visage


ça l'avait rattrapé.

    Oh Caleb, mon Caleb, mon champion, pourquoi tu as fait ça? J'ai été gentil pourtant, tellement, tellement gentil.


Il hurla.

"Non laisse-moi, LAISSE-MOI!"

    C'est bien. Je sais que tu es désolé.


Il en avait rêvé tant de fois sans se souvenir, et maintenant il la voyait, maintenant elle était sur lui, elle lui avait sauté à la gorge et l'avait fait tomber, elle bloquait ses bras pour qu'il ne puisse pas se défendre, elle riait, elle

    Tu me montres que tu es désolé, champion?


lui plantait ses griffes dans le ventre, le visage, déchirait, mordait, répandait son sang sur la neige alors que le labo achevait de brûler, que

Rodrigue? Qu'est-ce que tu as dit, Rodrigue? Tu parlais au feu, tu lui parlais, qu'est-ce que tu lui as dit?

    Allez, montre-moi. Tu sais quoi faire.


Techie.

"Ne me fais pas mal, s'il te plaît ne me fais pas mal, je serai sage c'est promis je ne le ferai plus..."

    Montre-moi quand même.


Un sanglot.

ça

Le générateur arcan.

le dépèce vivant

Ferme-le. Eteins-le. ETEINS-LE!

Un aboiement de douleur quand il perçoit la déchirure dans

son ventre

    sa bouche


son coeur


Et l'implant se désactive avec un petit claquement.





Noir.





Il referma les yeux, serra les paupières, lutta pour les rouvrir. Non, il ne faisait pas noir, seulement sombre. On avait tiré les rideaux. Il se sentait fiévreux, perclus de courbatures. Ses poignets lui faisaient mal, comme s'il s'était cogné, ou qu'il avait beaucoup trop serré le bracelet de sa montre. Mais cela lui paraissait si peu de chose, tout d'un coup.

A cet instant, il réalisa que la chaise à côté de son lit n'était pas vide.

Il voulut parler, mais il n'y parvint pas: il avait la bouche pâteuse et terriblement soif. Caleb cligna plusieurs fois des paupières, avant de regarder autour de lui avec un air hébété. Il n'était pas à l'hôpital. Il ne comprenait pas où il se trouvait, ce qu'il s'était passé. Pourquoi quelqu'un était là. Quelqu'un était là.

Une étrange impression de chaleur, qui n'avait rien à voir avec la fièvre. Il observa cette pensée comme il l'aurait fait d'un animal étrange, avant de la déguster très lentement.

Quelqu'un était là.

Et ce constat suffit à renvoyer ses cauchemars derrière ces portes qui n'auraient jamais dû se rouvrir.

"... R... Rodrigue?..."
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Rodrigue Llorandes

- Un dernier verre ? Mmh ? - Innocent perverti

Rodrigue Llorandes

Signalement : Hume, la trentaine, carrure solide, 1m85, cheveux noirs, yeux bleu pervenche, cicatrice sous l'oeil gauche.


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MessageSujet: Re: Maison de Rodrigue ¤ "Lève-toi et marche"   Maison de Rodrigue ¤  "Lève-toi et marche" I_icon_minitime31.05.09 23:05

 Malthéo aussi avait déliré, au bout d’un moment.

A cause de la fièvre, de la douleur de ses coupures qui refusaient de cicatriser, à cause de cette pièce nue et vague dans laquelle il l’avait enfermé – parce que le mois de Messidor avait commencé. Il avait déliré, le pauvre garçon, à peine homme, mais trop vieux déjà, trop mort au fond de ses yeux liquides. Il avait déliré, et lorsqu’il était apparu dans l’encadrement de la porte, il s’était jeté sur lui. Avec férocité, en hurlant comme une bête. Il l’avait griffé, mordu, frappé de ses poings frêles qui n’étaient pas faits pour la violence. Lui, il l’avait mis à terre en un instant. Malthéo avait de la fièvre, il pleurait avec abandon, affalé sur le carrelage froid.

Parce qu’il avait compris ce que Rodrigue avait tâché de lui enseigner : à la violence subie seule la violence devait répondre. Le pardon n’était qu’un mot, une poussière âcre logée au fond de la gorge. L’oubli et la fuite étaient des poisons. Voilà ce qu’il avait compris, voilà pourquoi il avait tenté de lui faire du mal – à Kyle Malaras, à Rodrigue, à ses parents qui l’avaient abandonné – avec toute sa haine, sa colère enfin libérée.

« Oh, Malthéo… Comme tu as souffert. »

Rodrigue s’était penché, et il l’avait écouté sangloter, une dernière fois.





Les yeux de Rodrigue se plissèrent sous l’effort. Les ruades de Caleb étaient de plus en plus violentes. Il se débattait comme un dément, multipliant des gestes de défense nerveux et désordonnés.

« CALEB ! »

Les poignets du Techie glissaient entre ses doigts, il devait les presser très fermement pour contenir ses coups. Il se pencha au-dessus de son lit, et par un contrepoids suffisant il parvint à bloquer les mains de Caleb contre le matelas. Rodrigue serra les dents, en proie à une inquiétude grandissante. Les dernières crises l’avaient déjà plongée dans des moments de nervosité inhabituelle, mais celle-ci s’annonçait bien pire que toutes les autres.


Oh, comme c’était différent…Il s’en rendait bien compte à présent. Cet homme, là, qui souffrait, il ne voulait pas mettre un terme à ses souffrances en appuyant ses doigts contre sa gorge. C’était égoïste. Mais c’était le propre des autres, après tout. Oui, voilà : c’était un désir égoïste qui le poussait à agir de la sorte. Il voulait, pour lui-même, pour l’équilibre précieux qu’il avait instauré dans sa nouvelle vie, que Caleb s’en sorte. Qu’il retourne en bonne santé au D-bar, et qu’ils continuent de parler, et de courir après Chips qui jouait les cleptomanes. Parce que l’épisode du laboratoire avait montré à Rodrigue à quel point il appréciait cette existence-là, en ce qu'elle incarnait peut-être ce silence de l’être auquel il aspirait tant.

« CALEB, du calme ! »

Le Techie continuait de se débattre, sans paraître entendre ce que lui criait son barman, et de toute évidence sans même se rendre compte de sa présence. Il était ailleurs – et loin, bien loin au fond de lui-même. Rodrigue voyait son visage, à la peau comme exsangue et humide de terreur, et les ridules logées entre ses sourcils, sa bouche ouverte pour crier, ou articuler sans clarté des suppliques emplies d’effroi. Parce que c’était des suppliques. Et Rodrigue avait le cœur étouffé par ce que lui inspirait ce visage. Arrête, réveille-toi. Lève-toi. Reviens, je ne t’ai pas dit merci.
Puis, il y eut une sorte de paroxysme atteint. Une violence consommée, incandescente comme un papillon en proie aux flammes enfin atteintes.


« Ca...l... »


Rodrigue hoqueta, les sangs glacés. Le visage de Caleb s’était comme effrité : l’expression pétrée de sa terreur s’était érodée en quelques instants, et s’allongeait, se liquéfiait pour donner l’image la plus pure de l’horreur. Rodrigue n’eut pas l’occasion de sentir le corps du Techie retomber dans une immobilité molle...


Car ses mains s’étaient levées, les doigts écartés, aussi vivement que si ses paumes brûlaient. Brûlaient encore, dans le brasier, là-bas, dans la neige et les hurlements.


Car Rodrigue, les yeux aveugles, avait eut un mouvement de recul parfaitement inconscient. Il perdit l’équilibre, et tomba assis sur la chaise qui se trouvait juste derrière lui. Mais il ne s’en rendit pas plus compte ; ses yeux bleu persan se levèrent vers le plafond. Vers le ciel. Car c’était comme si la foudre l’avait frappé, l’espace d’une seconde.








Horreur. La Blessure, béante. Inoubliable. Vorace.



Il sentit. Les mains larges enfouies dans ses cheveux, écœurantes d’avidité. La brûlure du dégoût au fond de la gorge, la déglutition étranglée qui s'assimilait à un acte de reddition ignoble. Le soupir du monstre.


« C’est bien. C’est très bien, champion. »


Ça, la Déchirure. Le sanglot de celui qui n’avait plus de larmes.

« Ah, tu es le petit nouveau ? Ne t’inquiète pas, tu te feras des amis très vite, ici. Moi, je suis Kyle. Enchanté, bonhomme. »











Rodrigue cilla, apaisant ses yeux douloureux d’être restés trop longtemps écarquillés. Il se décala aussitôt du dossier de la chaise qui se pressait contre sa brûlure. Il enfouit son visage entre ses mains, tremblantes d’être restées trop longtemps crispées sur les poignets de Caleb. Puis il respira, profondément. Les antalgiques avaient heureusement amortis ce soudain accès de migraine. Le médecin lui avait dit de ne pas reprendre de médicaments avant le soir, mais tant pis : il irait dès que possible en reprendre un. Il se massa l’arcade sourcilière gauche avec prudence, puis releva son regard vers Caleb.
Il se sentait encore nauséeux, et perdu. Car tout ce qu’il avait ressenti avec une netteté infernale, tout ce dont il s’était souvenu, avait été emporté par une vague, enfoui en sécurité loin sous les eaux grasses du népenthès.
En face de lui, noyé dans les draps blancs tordus, Caleb semblait s’être calmé.

Non.


Caleb s’était réveillé.

Ses cils s’étaient levés sur ses prunelles noisette. Sa tête pivotait légèrement de droite à gauche pour observer les lieux. Rodrigue se surprit à retenir son souffle. Puis leurs regards se croisèrent. Et le Lespurien se sentit envahi par une émotion étrange. Caleb était vivant. Il n’était ni la masse de chair sanglante couchée dans la neige, ni le corps inerte et pâle au creux du lit. Il était ces yeux-là, ouverts sur le monde. Voilà, c’était bien. C’était même parfait.
Le Techie murmura son prénom, et Rodrigue cilla à nouveau, décontenancé. Ah oui, cela faisait un petit moment qu’il n’avait pas entendue de voix humaine. Et puis, c’était Caleb qui parlait. Qui ne hurlait pas, non : il murmurait, d’une voix un peu cassée, et hésitante. Le barman ne parvint pas à rester tranquillement assis sur sa chaise ; aussi il se leva, se pencha à nouveau au-dessus du lit. Des mèches glissèrent sur ses pommettes, voilant de rets sombres son regard violet. Il resta quelques secondes silencieux, puis dit dans l’espace d’un sourire :

« Ah, Patron…Quel soulagement ! »

Son sourire vacilla un peu sur ses appuis, puis sembla se maintenir. Ses deux derniers mots sonnaient assez de façon assez exotique à ses propres oreilles ; mais finalement, c’était bien ainsi : il disait seulement ce qu’il pensait. Caleb l’excuserait peut-être.
Le Lespurien se redressa, et consentit enfin à se rasseoir. Mais sans lâcher Caleb des yeux. Exactement comme on s’épuise à contempler le moindre frémissement d’un nouveau-né placé pour la première fois dans son berceau. Mais Rodrigue s’efforça de contenir sa fascination sans doute déplacée, posa ses mains sur ses genoux, et reprit d’une voix calme :

« Je suis désolé, je n’ai pas pu vous ramener au Downward Bar. Vous êtes chez moi, dans le quartier nord. »

Il marqua une pause patiente, et peut-être aussi dubitative, puis il se leva. Non, décidément, il se sentait incapable de rester en place. Il se dirigea vers la table de chevet, où il soupesa le broc d’une main, puis remplit un verre. D’un mouvement de poignet, il stoppa le bruyant écoulement de l’eau, et il ajouta dans un murmure :

« …Vous êtes resté inconscient cinq jours. »
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Caleb Mancuso

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Caleb Mancuso

Signalement : Hume Evolus d'environ trente ans, pas très grand (1m72) et peu épais en ce moment, cheveux châtains, yeux noisette, bel homme, vêtements de très belle facture, pas de cicatrice visible quand il est habillé à part une entaille en virgule sous l'oreille gauche


Maison de Rodrigue ¤  "Lève-toi et marche" Vide
MessageSujet: Re: Maison de Rodrigue ¤ "Lève-toi et marche"   Maison de Rodrigue ¤  "Lève-toi et marche" I_icon_minitime01.06.09 17:31

Son regard flottait, encore vague et indécis. Avec un effort, il était parvenu à se fixer sur ce visage inattendu, cette silhouette sombre qui à présent se penchait au-dessus de lui. Caleb frémit et se détourna: il n'aimait pas qu'on le surplombe ainsi. Par alors qu'il était allongé dans un lit qu'il ne connaissait pas, dans une chambre qu'il ne situait pas, pas alors qu'il gisait dans des draps humides de sueur avec à peine la force de bouger la tête. Dans son esprit encore sous le choc et engourdi de fièvre, tout se mélangeait, des notions d'orgueil, de prudence, de peur, de honte. Ses prunelles noisettes glissèrent sur le côté, cherchèrent avec hésitation les yeux de cet homme dont la présence lui apportait autant de soulagement que d'appréhension. Un reflet indigo. Et puis la voix, grave, posée, fatiguée, ce léger accent, cette étrange manière de prononcer les "r". Patron.

Caleb se détendit et laissa ses paupières recouvrir ses yeux brûlants: oui, c'était Rodrigue. Tout allait bien, c'était Rodrigue. Rien à craindre.

Le Lespurien cessa de peser sur le matelas et le Techie resta un instant parfaitement immobile, les yeux clos, la respiration légèrement trop ample - chacun de ses souffles était un soupir. Il ne se rappelait pas. Il ne ressentait pas. Il savait bien qu'il avait pris pied dans le monde réel, et cette certitude avait le rassurant des choses tangibles. Mais à part cela, c'était le brouillard, des sensations et souvenirs dans le désordre le plus complet. Des images de blizzard, un cheval bai, Chips avec un bonnet enfoncé sur les yeux. Un briquet, vacillant dans le noir. Lui qui s'appuyait sur Rodrigue, à cause de... oui, à cause de sa jambe, sa jambe qui lui faisait tellement mal. Au moins ce n'était plus le cas à présent: son genou le laissait tranquille, et c'était tant mieux. Même si ce constat mettait Caleb étrangement mal à l'aise.

La voix de Rodrigue s'éleva à nouveau et le trafiquant lutta pour rouvrir les yeux. Son barman lui donnait l'impression de parler une langue étrangère particulièrement obscure, mais il parvint tout de même à comprendre qu'il se trouvait dans la maison du Lespurien. En temps normal, Caleb se serait inquiété, un peu indigné, il aurait exigé de savoir pourquoi il était là et pas dans un hôpital ou dans son propre lit. Là, il se contenta d'étiqueter le lieu comme un "endroit sûr" et remit ses questions à plus tard d'un énième soupir. Il se sentait tellement fatigué...

Un bruit d'eau, un murmure qui lui fit battre des cils d'un air hagard. Il obligea sa gorge sèche à produire un filet de voix rauque:

"Cinq... jours?..."

C'était long ça, non? Cinq jours, combien ça faisait cinq jours? Il avait vraiment passé tant de temps à... dormir? Il n'avait pas l'impression d'avoir dormi; n'était-il pas au milieu de la toundra, à côté du labo en flammes? Combien de temps auparavant, dix minutes? Quinze, à tout casser? Mais pas plusieurs jours, certainement pas, il avait dû mal comprendre. De toute façon ce n'était pas possible, une semaine plus tôt il était encore à l'orphelinat. Il venait de placer les haltères dans le placard du gymnase avec l'aide (de Rodrigue) du petit nouveau, celui qui avait la cicatrice sous l'oeil.

Une main, fraîche et ferme, toucha son épaule à la base de sa gorge. Caleb sursauta et rouvrit brusquement des yeux qu'il ignorait avoir fermé. A nouveau cette silhouette au-dessus de lui.

Rodrigue. Du calme, c'était seulement Rodrigue.

Il tenait un verre d'eau et pour la première fois Caleb ressentit clairement le fait qu'il mourait de soif. Sa main droite voleta jusqu'à celle du Lespurien pour se poser sur la surface lisse et divinement glacée du récipient, qu'il attira jusqu'à ses lèvres pour boire avec avidité. Rodrigue tenait toujours le verre, et vu l'état déplorable des nerfs du trafiquant, c'était sans doute lui qui l'aidait à boire en réglant le débit de l'eau. Mais honnêtement, Caleb s'en foutait: il avait tout simplement trop soif. Il aurait tout aussi bien pu s'étouffer avec le liquide glacé, il aurait trouvé que c'était un plaisir. Alors peu importait que quelqu'un lui tienne son gobelet comme à un vieil infirme, peu importait cette main qui lui soutenait la tête, ces doigts fermement refermés sur sa nuque, insinués dans ses cheveux, qu'en temps normal il aurait rejetés avec une fureur blessée tout à fait démesurée.

Caleb laissa le verre lui échapper et sa tête se reposa sur les oreillers avec un long soupir soulagé. Il avait soudain l'impression de mieux respirer. A travers le flou de ses paupières à demi fermées, il chercha le contact des iris bleu pervenche. Un sourire inattendu aux accents opiacés s'esquissa alors sur ses lèvres, un sourire qui devint un rire aussi étouffé qu'étonnamment joyeux, et la main inerte qui enserrait vaguement le verre se décala pour aller peser sur le poignet de Rodrigue comme elle aurait pu lui taper sur l'épaule:

"C'est ça qui... est bien... avec toi... tu restes tou... toujours... même... après la fermeture..."

Sa main retomba, ses yeux se fermèrent. Rodrigue disparut avec la petite chambre à la pénombre ouatée.

"Tu restes... C'est bien... c'est bien..."

Son sourire s'éteignit comme sa voix l'avait fait, ses muscles frissonnants se détendirent, sa tête roula mollement sur le côté, et Caleb s'endormit.



Cette fois, il ne rêva de rien.



Il se réveilla alors que la nuit était tombée sur Secaria depuis longtemps. Il ne le sut pas, car la petite chambre était à présent éclairée par les reflets chauds et changeants d'une bougie posée sur la table de chevet. Par contre, il perçut très bien ce qui lui avait totalement échappé la première fois, à savoir le mugissement du vent chargé de neige qui heurtait le toit et la fenêtre dissimulée derrière l'épais rideau. Il resta un instant allongé sans bouger, le regard fixé au plafond, à écouter ce son familier qui rendait le monde extérieur hostile. L'humble chambre y gagnait des allures de refuge.

Lentement, Caleb prit le temps de trier ses souvenirs. Qui il était. Où il se trouvait. Rufus. La tempête. Sa jambe qui lui avait fait mal à hurler. Le laboratoire. La geôle au cercle de cendres. Le noir. Puis leur fuite, et...

Du rouge sur la neige.

Le Techie porta une main frémissante à son visage pour se frotter les yeux. Il transpirait beaucoup, ses muscles ne lui obéissaient pas très bien et il avait incontestablement besoin de se raser, mais s'il en croyait sa peau tiède et son esprit relativement clair, sa fièvre avait pratiquement disparu. Il s'humecta les lèvres avant de tourner la tête vers la chaise à côté de son lit.

Vide.

Caleb se laissa aller à un instant de déception, avant que quelques renseignements ne lui reviennent: il était chez Rodrigue, depuis longtemps - plusieurs jours, non? Le Lespurien ne devait pas être bien loin, sûrement en train de se nourrir, ou de se reposer un peu; le trafiquant ne savait pas à quel point son employé avait veillé sur lui (il ne le soupçonnait même pas), mais cela paraissait logique que Rodrigue ne reste pas cloîtré dans sa propre chambre.

Un grognement, un poids contre son flanc, et Caleb réalisa qu'il n'était pas tout seul dans le lit.

Il baissa les yeux, surpris. Puis ses iris que la bougie drapait d'or se mirent à sourire:

"Salut mon gros..."

Chips s'était allongé contre son flanc et le fixait de ses grands yeux couleur opale, sérieux comme un homme d'Etat. Caleb avança une main vers lui. Il pensait que le reptomarsupial allait nicher sa tête dans sa paume, mais au lieu de cela la bestiole se hissa sur ses pattes, passa sous le bras levé du Techie et vint frotter son museau contre sa joue. Ce geste si doux et précis, venant de Chips, donna l'impression à Caleb que quelque chose se forait un passage dans sa poitrine en droite ligne jusqu'à son coeur.

"Oh, bonhomme... ça va maintenant, d'accord? Ce... ça va..."

Chips émit enfin un petit "kwi" affectueux, et l'hume l'enveloppa de son bras pour le serrer contre lui. Le reptomarsupial se laissa faire quelques secondes, son museau niché dans le cou de Caleb. Puis le naturel reprit le dessus et la bestiole décida de rendre son câlin au bipède, en serant de toute ses forces la première chose qui se trouva à portée de ses pattes, à savoir le cou de son maître.

"Caleeeeeb..." Bouin... T-T

"Oui euh dou... doucement, tu... argh, Chips!"

Les doigts du Techie se refermèrent sur l'encolure de la bête et l'écartèrent tant bien que mal de sa gorge tandis que l'animal se répandait en léchouilles et en sanglots.

"Pas dormir! Trop dormir! Pas kwi Caleb trop dormir!" ><

"C'est bon, je suis réveillé maintenant."

"Pas dormir. Pas pleurer. Pas peur."

Caleb cligna des paupières, interdit. Mais Chips ne détailla pas davantage sa pensée: quelque chose d'autre venait de repasser au premier plan dans son esprit un chouia bordélique.

"Rodrigue! Caleb réveillé, Chips missiiiion, Chips cherche Rodrigue!"

Il s'extirpa sans peine de l'étreinte du Techie avant de sauter à bas du lit, non sans piétiner le ventre de l'hume au passage. Caleb n'eut même pas le temps de protester que la longue queue rouge de sa bestiole avait déjà disparu par la porte entrouverte et qu'il entendait le galop caractéristique d'un Chips qui cavalait dans des escaliers. Le trafiquant sourit avec fatalité, avant de soulever son drap pour vérifier que les griffes du reptomarsupial n'avaient pas fait de dégâts involontaires. Il fut surpris de constater que si: l'une des pattes postérieures de Chips l'avait gratifié de trois égratignures bien parallèles, juste à côté du nombril. Il ne s'en était même pas rendu compte. Il les effleura du bout des doigts. Doucement. Plus fort. Ce ne fut que lorsqu'il appuya délibérement dessus qu'il ressentit un vague picotement.

Caleb aurait pu s'interroger sur ce fait s'il n'avait pas alors réalisé qu'il n'y avait pas que son torse de dénudé. Le visage du Techie se ferma et il sentit les cheveux de sa nuque se hérisser comme la fourrure d'un gros chat indigné: ça ne se faisait pas de déshabiller les gens comme ça, enfin! Bon, Rodrigue avait eu le tact de lui laisser son caleçon, ce qui éviterait de transformer l'affront en déclaration de guerre. Mais cette attention tout comme les cinq jours de coma parurent négligeables à Caleb lorsqu'il vit son hôte pousser la porte de la chambre.

"Tu étais obligé de me déshabiller, franchement?!..."

Deux secondes de flottement. Chips bondit sur le lit pour aller retrouver sa place à côté de son maître. Puis...

"Euh... pardon, je... je ne voulais pas... Enfin, je n'aurais pas dû dire ça."

L'expression farouche de Caleb était devenue une consternation si intense qu'elle en relevait de la surprise: évidemment qu'il n'aurait pas dû dire ça... Mais quel con, je vous jure... Instinctivement, le Techie chercha à s'asseoir dans le lit pour parler à Rodrigue, mais son corps épuisé lui refusa le simple fait de se hisser sur les coudes. Caleb tenta de dissimuler sa tentative avortée en transformant son geste pour se passer une main dans les cheveux.

"Pardon. Je suis... un peu embrouillé. Tu as..."

Il s'interrompit et serra fortement les paupières, comme quelqu'un qui cherche à repousser une migraine - lui essayait simplement de penser clairement. Puis il releva les yeux pour dévisager Rodrigue comme s'il le voyait pour la première fois. La chambre. La bougie. A nouveau Rodrigue.

"Tu as réussi à nous ramener?..."
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Rodrigue Llorandes

- Un dernier verre ? Mmh ? - Innocent perverti

Rodrigue Llorandes

Signalement : Hume, la trentaine, carrure solide, 1m85, cheveux noirs, yeux bleu pervenche, cicatrice sous l'oeil gauche.


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MessageSujet: Re: Maison de Rodrigue ¤ "Lève-toi et marche"   Maison de Rodrigue ¤  "Lève-toi et marche" I_icon_minitime06.06.09 13:39

Rodrigue cligna des yeux, sentant la fatigue picoter légèrement ses paupières. Il s’abîma l’espace de quelques secondes dans la contemplation du broc qu’il venait de redéposer, à l’intérieur duquel clapotaient sourdement l’eau semée de reflets sinueux.

Oui, cinq jours. Si tu savais comme ça a été long, pour moi.

Le verre d’eau en main, le Lespurien appuya son genou sur le rebord du matelas, et se pencha à nouveau pour permettre à Caleb de boire, sans pour autant l’obliger à se redresser d’emblée ; il glissa avec précaution sa main sous la nuque brûlante du Techie, et porta le verre à ses lèvres. Il était suffisant de regarder le visage livide de Caleb pour se douter qu’il ne lui restait plus rien de ses forces, vampirisées et par la fièvre et par son dernier cauchemar. Rodrigue cilla, si concentré dans ses gestes qu’une ombre s’était fendue entre ses sourcils froncés, et jetait ainsi des pans d’obscurité sur son regard violet. La peau de Caleb était chaude, beaucoup trop pour que ce contact fût agréable : les doigts qui venaient de glisser furtivement sur ses phalanges étaient comme des braises longilignes. Rodrigue retint un mouvement de recul embarrassé ; il sentait soudainement avec plus d’acuité les bandages qui enserraient le haut de son buste, et la friction sourde, plus tout à fait douloureuse, de la compresse contre sa peau entamée par les flammes.
Le verre était vide. Rodrigue pencha son regard, intrigué par le rire soudain de son patron. La main de Caleb était sur son poignet ; brûlante. Mais bienveillante. Il tapota légèrement sa main, et parla d’une voix moins rocailleuse qu’auparavant. Et comme les mots que Caleb murmurait bout par bout prenaient progressivement du sens dans l’esprit du barman, son visage sembla se libérer de toutes les lignes dures qui indiquaient ou son attention, ou son trouble, pour ne plus donner que l’image d’un homme, encore jeune, saisi d’une surprise si pure qu’elle s’exprimait à peine. Rodrigue détourna brusquement son regard de Caleb, et inclina légèrement la tête côté comme pour s’abîmer dans la contemplation de la porte de sa chambre.

Ce sentiment avait filé entre ses doigts, vif et indécent, et avait failli s’exprimer pleinement sur son visage…


Le Techie avait reposé la tête sur ses draps, manifestement épuisé. Lorsque le Lespurien osa glisser à nouveau son regard pervenche sur lui, il s’était déjà endormi. Le barman le dévisagea, un peu moins tiraillé par cette gêne indicible qui lui avait hameçonné le cœur. A priori, ce qu’avait dit Caleb n’avait pas beaucoup de sens ; a priori toujours, Rodrigue n’était pas obligé de se sentir flatté – non, ce n’était pas le mot qui convenait – par ce qui s’apparentait à un compliment – en était-ce réellement un ? Il se pencha un peu, observant les traits enfin détendus du Techie. Peut-être dormirait-il plus calmement, désormais.
Rodrigue se sentait mal à l’aise ; et très léger, tout à la fois. C’était incohérent ; mais peut-être était-ce simplement ainsi que les autres ressentaient avec force qu’ils étaient vivants, lorsque quelque chose dans leur existence venait le leur rappeler. Le Lespurien, le visage fermé, pensif, éleva une main dans le vide, et l’approcha comme avec prudence du visage de Caleb. Il suspendit son geste à l’instant où l’extrémité de ses doigts allait effleurer sa joue.


Cet œil ne me laissera jamais en paix…



Avec une grimace de douleur, Rodrigue rétracta sans empressement sa main et la porta à son œil mort, qui criblait de frissons électriques toute sa boîte crânienne. Il tourna son regard la porte de la chambre. Dans le contre-jour se découpait nettement la silhouette noire et immobile d’Aurelia. Rodrigue lui sourit. Son regard glissa un bref instant sur Caleb ; il allait sans doute dormir encore un moment ; il demanderait à Chips de l’avertir si le Techie venait à se réveiller. Sur cette décision, il se leva du lit en reportant son attention vers sa cousine. Mais elle avait déjà – encore – disparut, « l’éternelle jalouse ».






Les heures s’écoulèrent en un pieux silence.
Rodrigue avait passé le reste de l’après-midi à effectuer des allers-retours entre le rez-de-chaussée et le premier étage, entre quelques menues tâches ménagères ralenties par l’ennui et des longs instants de silence scrutateur. Chips montait scrupuleusement la garde auprès de son maître, ainsi que Rodrigue le lui avait demandé – moyennant, comme récompense, le projet d’un certain katana en tricot.
Toute la maison était donc plongée dans un calme abyssal. Rodrigue avait reprit des médicaments, et, tandis que plus haut Caleb émergeait lentement de son sommeil, il s’abandonnait depuis quelques instants déjà à la contemplation sévère de sa rue, au-delà de la fenêtre du salon. Le vent frappait les façades et charriait de la neige informe le long des trottoirs étroits et sales du quartier nord. Il ploya la nuque pour observer le ruban de ciel que l’on apercevait entre les deux faîtes de bâtisses, gris et encombré de nuages bas déchiquetés de bourrasques. Rodrigue tira le rideau d’un coup sec, et retourna patiemment vers la cuisine. Ce fut à cet instant qu’il entendit le galop frénétique de Chips qui descendit les escaliers ; le Lespurien attendit que la bestiole rouge fluo apparaisse au ras du sol, et s’autorisa un sourire devant la joie fébrile de Chips, dont le toupet multicolore s’agitait avec frénésie dans son sillage.

« Kwiii Caleb né réveillé ! Kwi mission accompliiiiie ! »

Le Lespurien posa un genou à terre et flatta la tête du reptomarsupial en riant légèrement :

« C’est bien, mon gros. Tu auras ton katana. »

« ROH-KWIII ! » XD


Dans un rire bref mais sincère, Rodrigue tapota encore la tête de Chips, puis se redressa. Le timing était parfait ; il avait déjà préparé le dîner et il était encore chaud, sur la cuisinière à gaz. Il disposa tranquillement une assiette frugalement garnie de pâtes sur un plateau de vieux bois, glana au passage les médicaments que lui avait confié le médecin balayeur, puis il remonta l’escalier sous escorte d’un reptomarsupial trépidant de bonne humeur. Et comme il montait les marches pour la ixième fois de la journée les dernières paroles du Techie, définitivement troublantes, affleuraient à nouveau.
« Tu restes toujours après la fermeture ». La main que Rodrigue avait portée vers la poignée de la porte hésita, puis que posa avec douceur sur le loquet doré. Cette déconcertante impression de réconfort glissa comme un voile sur l’océan lourd et calme de ses pensées anesthésiées ; il afficha un sourire léger, vaguement distrait, et actionna la clenche. Sa chambre était plongée dans une obscurité constellée de tâches dorées ; les bougies qu’il avait allumées dans la pièce dispensaient une lumière faible mais colorée, qui semblait adoucir les arrêtes des meubles, amortissait les ombres gondolantes du mobilier. Là encore, la lumière rendait les yeux de Caleb pareils à ceux d’un félin – dorés, altiers et incisifs à la fois. Des yeux braqués sur lui avec une toute aussi féline rancoeur.

"Tu étais obligé de me déshabiller, franchement?!..."

Rodrigue cilla, extirpé de la longue seconde de fascination muette par l’interpellation coléreuse du Techie. Il empêcha un sourire plus large de se frayer un chemin sur ses lèvres ; s’il avait assez de force pour faire preuve de mauvaise humeur, c’était bon signe. Satisfait de ce constat, il ne songea même pas à relever le caractère exagéré de son indignation, et se contenta d’appuyer légèrement sa hanche contre la porte pour la refermer. Chips avait déjà détalé vers le lit et s’y était jeté avec abandon, pour revenir se lover contre son maître. Tandis que Caleb s’excusait maladroitement de son emportement, Rodrigue s’approcha de la table et chevet et y déposa le plateau. Ce faisant, il adressa un sourire tranquille à son patron, signe qu’il était déjà pleinement acquitté :


« Désolé, Patron. Vos vêtements sont juste là, sur le bahut. »



Il désigna d’un léger mouvement de tête le meuble de bois d’aspect ancien qui collait au mur, sous la fenêtre. Une pile de vêtement soigneusement pliés s’y trouvait déjà, et à côté étaient disposés quelques affaires appartenant au Techie : la boussole, les clefs du B-Bar, le mouchoir noué noirci de suie, entre autres. Lorsque son propre regard de posa sur le dit mouchoir, le visage Rodrigue s’obscurcit d’une nette malveillance à l’égard de ce « souvenir » du laboratoire, qu’il n’avait touché que du bout des doigts, et isolé au plus loin de la pièce. Néanmoins, il reporta un regard tranquille sur Caleb, et s’assit sur la chaise, en la rapprochant dans un léger raclement du lit. Le trafiquant d’armes avait toujours l’air hagard, mais au moins, son visage avait repris quelques couleurs.

« Oui, j’ai réussi. » confirma-t-il sur un ton négligent, en passant une main sur son torse nu, à l’endroit où se croisaient les bandages de sa brûlure. Il inclina ses yeux pervenches pour croiser le regard ambré du Techie, et rajouta avec un sourire :

« Et honnêtement, je n’ai jamais eu aussi mal aux mollets de toute ma vie. Le bai aussi était presque mort de fatigue ; c’est pour ça que je n’ai pas poussé plus loin que le quartier nord. »

Rodrigue marqua une pause tranquille, le temps de faire glisser son regard vers la table de chevet, puis continua d’un ton égal :

« Vous avez faim, Patron ? »
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Caleb Mancuso

- Attachiant de service - Punching-ball adoré!

Caleb Mancuso

Signalement : Hume Evolus d'environ trente ans, pas très grand (1m72) et peu épais en ce moment, cheveux châtains, yeux noisette, bel homme, vêtements de très belle facture, pas de cicatrice visible quand il est habillé à part une entaille en virgule sous l'oreille gauche


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MessageSujet: Re: Maison de Rodrigue ¤ "Lève-toi et marche"   Maison de Rodrigue ¤  "Lève-toi et marche" I_icon_minitime07.07.09 13:13

Une main sur la tête du reptomarsupial qui prenait ses aises contre son flanc, Caleb gardait les yeux rivés sur Rodrigue. Il l'observa tandis que le barman traversait la petite chambre pour poser un plateau sur la table de chevet, et son regard s'attarda longuement sur l'assiette fumante. Puis il glissa vers le bahut qu'on lui désignait, pour fixer avec la même intensité la pile de vêtements qui s'y trouvait - Caleb n'avait pas besoin de les voir de près pour avoir qu'ils étaient aussi propres, repassés et soigneusement pliés que s'ils sortaient du pressing. Rodrigue s'assit et approcha sa chaise du lit. Le Techie reporta son regard sur lui, et cette fois-ci il ne prit pas la peine de dissimuler l'incongru sentiment de stupeur qui marquait toutes ses pensées.

Pour Caleb, tout cela avait quelque chose de surréaliste. Cette chambre chaude et accueillante, cet homme qui s'occupait de lui avec une telle nonchalance, un tel naturel... Cet homme capable de s'asseoir au chevet d'un malade - non, à son chevet - pour lui faire la conversation, avec la simple et franche volonté de lui tenir compagnie. Ou alors, était-ce encore une splendide représentation de Rodrigue, l'employé parfait? Après tout, il continuait à l'appeler Patron, ce qui avait un côté délicieusement risible dans cette situation où Caleb n'était pas en état d'exiger grand chose. Etait-ce un excès de zèle? Une légère moquerie?

Juste de la sollicitude?...

Le barman lui demanda alors s'il avait faim, et le Techie tourna la tête vers l'assiette de pâtes, l'indécision creusant de fines ridules entre ses sourcils. Oui, il avait faim, il s'en rendait parfaitement compte; son corps réclamait de la nourriture. Mais dans le même temps, la simple vue d'un aliment solide l'écoeurait presque au point de lui tirer un haut-le-coeur.

"Je... je ne sais pas trop..."

Caleb s'humecta pensivement les lèvres. Son regard suivit la même trajectoire que précédemment et retomba sur le bahut, mais cette fois-ci il enregistra la présence du baluchon qu'il avait improvisé avec son mouchoir. Les cendres qu'il avait ramassées, lorsqu'il ne réalisait pas encore à quel point ce cercle était dangereux. Les cendres à cause desquelles il était entré dans ce foutu cachot. Le trafiquant jeta un coup d'oeil à Rodrigue, aux bandages qui s'entrecroisaient sur sa poitrine. Puis à nouveau au sinistre paquet qui reposait innocemment sur le meuble tout proche.

Il ne méritait pas tout cela.

"Je suis désolé."

Aussi sérieux qu'il pouvait l'être dans ces circonstances, Caleb fit une nouvelle tentative pour se hisser sur ses coudes. Cette fois-ci il y parvint, mais sa propre faiblesse l'effraya beaucoup - bon sang, c'était vraiment pas passé loin. L'espace d'un instant, il se revit allongé dans la neige à la sortie de ce laboratoire, hagard, fou de douleur, livré au constat absurde qu'il manquait - qu'il manquait! - la moitié de son corps. Il se remémorait chaque détail de la scène, la moindre éclaboussure de sang, ses vêtements déchiquetés et teintés de rouge, des morceaux de (sa) chair répandus un peu partout, le tout d'une netteté aussi violente et ignoble qu'une photo que l'on aurait contrastée au maximum. Caleb déglutit et inspira profondément, mais sa voix était stable lorsqu'il leva les yeux vers Rodrigue pour répéter:

"Je suis désolé. J'ai vraiment fait tout faux, sur ce coup-là. J'ai négligé le blizzard, je me suis laissé enfermer dans cette pièce..."

    Pour que tu n'oublies plus jamais. Que tu es un minable.


Il s'interrompit et son regard dévia brutalement: encore un truc qu'il avait oublié, cette histoire de fantôme. Il se sentait ridicule d'en avoir eu aussi peur, de toujours y penser en frissonnant. Il aurait aimé se dire que c'était juste un jeu pervers de ce laboratoire mille fois maudit, il aurait aimé l'oublier le plus vite possible, l'enterrer loin au fond de son esprit, derrière une autre porte fermée à clé. Mais il était bien trop tôt pour cela; quelque chose disait à Caleb qu'il devrait encore vivre de nombreuses années avec la vision de ce gosse au pyjama teinté de sang.

Et puis, comment oublier les reproches de quelqu'un qui a si cruellement raison?

    Minable. Menteur.


"Et je..."

Nouvelle pause: il n'allait tout de même pas s'excuser pour cela, si? Rodrigue était son employé, pas son ami. Il n'avait pas de compte à lui rendre, il n'avait pas à se justifier.

Mais lorsque la vie elle-même est en jeu, est-ce que toutes ces histoires de hiérarchie ont encore de l'importance? Le Lespurien était gravement brûlé à l'épaule. Il aurait pu mourir. Et Caleb, très loin d'être fier d'être revenu sur ses pas, était effondré à l'idée qu'il aurait pu provoquer la perte de quelqu'un qui avait confiance en lui. C'était injustifiable. C'était impardonnable.

    Minable.
    Mais ta gueule!


Le Techie soupira et se laissa retomber sur les oreillers, trop fatigué pour maintenir plus longtemps sa position demi-assise. Chips en profita pour retourner se nicher sous son bras, le museau posé sur sa poitrine. Le trafiquant ne prit pas le temps de lui sourire. Il avait besoin de toutes ses maigres ressources pour s'obliger à regarder Rodrigue en face.

"Je te demande pardon d'avoir trahi ta confiance. Je veux dire, pour la magie, tu aurais fini par le savoir, j'attendais juste de te connaître un peu mieux. Mais ce que j'ai fait, quand je t'ai dit de dormir tranquille, que je m'occupais de tout, et que tout ce que j'ai trouvé à faire, c'est d'aller m'enfermer dans ce piège à rats..."

Un soupir. Plus il parlait, et plus sa poitrine lui donnait l'impression de se creuser: tout ceci avait un amer goût de déjà vu.

"J'ai fait le con et ça a failli tous nous tuer. C'est ma faute si tu es blessé. Alors sache que je te suis reconnaissant d'avoir rempli ton contrat jusqu'au bout, de nous avoir mis à l'abri. Et si tu souhaites aller travailler pour quelqu'un d'autre à présent, je comprendrais."

Et presque malgré lui, il ajouta avec un dégoût perceptible:

"Au moins cette fois j'aurais eu le temps de m'excuser avant que mon garde du corps se barre."

Caleb détourna le regard et laissa passer quelques longues secondes de silence, avant de demander d'un ton qui se voulait léger:

"Tu peux m'aider à m'assoir, s'il te plaît? Je dois vraiment être crevé, j'arrive même pas à bouger les jambes."
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Rodrigue Llorandes

- Un dernier verre ? Mmh ? - Innocent perverti

Rodrigue Llorandes

Signalement : Hume, la trentaine, carrure solide, 1m85, cheveux noirs, yeux bleu pervenche, cicatrice sous l'oeil gauche.


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MessageSujet: Re: Maison de Rodrigue ¤ "Lève-toi et marche"   Maison de Rodrigue ¤  "Lève-toi et marche" I_icon_minitime09.07.09 22:15

Rodrigue avait reposé ses mains sur ses genoux. Les bougies creusaient les ombres au-dessus de ses clavicules saillantes, traçaient des lignes noires et hésitantes le long de ses bras tendus et immobiles. Il pouvait avoir l’air nerveux, presque aux aguets. Mais il était rassuré ; à un point tel qu’il sentait, avec stupéfaction, comme la trace d’une paume fraîche et aimante sur sa poitrine. Il regardait Caleb s’animer et parler, après l’avoir vu des jours comme mort. C’était bien, comme ça. Vraiment. Mieux.

Il se souvenait maintenant avoir imaginé ce qu’il aurait fait, si Caleb était mort chez lui. Non. Pas ce qu’il aurait fait ; ces projections pragmatiques n’étaient qu’un confus brouillard d’incertitudes, un bric-à-brac inutile de possibles. Quelques rares et silencieux instants au cours de son attente, il s’était demandé ce qu’il aurait ressenti. Et il avait contemplé son propre silence, longtemps. Très longtemps, avec le vertige terrible propre à ceux qui s’ignorent eux-mêmes et qui ne savent pas comment résoudre cette erreur – cet horrible – terrifiant – manque.

Si Caleb était mort ?

Cette idée déployait son ombre gigantesque sur lui, monstrueusement énigmatique. Tout ce qu’il avait pu retirer de cette lutte contre lui-même, c’était des souvenirs. Le malheur. L’absence, néant corrosif du cœur. Comme lorsqu’il avait pleuré la mort des autres – ceux qu’il aimait, qu’il avait voulu protéger.


Ah : et puis il avait revu la vitre cassée.


Et il s’était persuadé avec la puissance que confère la terreur que Caleb ne mourrait pas. Pas cette fois – et pas à cause de lui.






« Je suis désolé »


Rodrigue releva la tête, manifestant sans retenue son étonnement. Désolé ?
Caleb s’était hissé sur ses coudes, avec une difficulté manifeste. Et il le regardait. Avec ces yeux de chat, une clarté irienne assez semblable aux flammes muettes des bougies. Les épaules de Rodrigue s’abaissèrent graduellement, tandis que le Techie reprenait la parole, sans le lâcher du regard. Avec ce ton sérieux, et cette pâle ligne d’horizon qui s’appesantissait sur son front à mesure qu’il cherchait ses mots. Pour s’excuser.
Le Lespurien l’écouta presque sans broncher. Sans briser le contact dérangeant établi entre leurs yeux – dérangeant, parce qu’il avait envie de détourner son regard, de fuir même, plutôt que d’avoir à tolérer ces yeux-là, qui faisaient que tous ces mots inattendus étaient sincères. Pardon. Confiance. Faute. Ils devenaient douloureusement…vrais.
Rodrigue se pencha un peu en avant, appuya ses coudes sur ses genoux. Il observait son patron, ses mains entremêlées devant sa bouche, comme pour cacher le furtif frémissement de ses lèvres lorsque le trafiquant avait évoqué sa « sieste » au laboratoire. Il finit par relever légèrement la tête, et il répéta d’un ton sombre par lequel son accent faisait rouler les mots comme des pierres – prêtes à être jetées à la figure.

« Vous me demandez pardon ? »

Parler du laboratoire l’avait visiblement mis de mauvaise humeur. Mais ce n’était pas vraiment le seul fait d’évoquer cet épisode affreux qui assombrissait son visage. C’était davantage la façon dont Caleb en parlait, cette glissade prudente vers ce qui s’apparentait à une offre de démission, ce regard qu’il avait fini par détourner, comme une conclusion à son discours – un point final, mais fuyant comme une virgule. Les mains de Rodrigue s’abaissèrent, lentement. Et il se remit à griffer son annulaire gauche, comme pour triturer une alliance fantôme.

« Ça ne sert à rien. Ce n’est certainement pas à vous qu’en j’en veux. »

Rodrigue se remit à sourire. Avec franchise, et une certaine tranquillité qui adoucissait ses paroles lâchées avec une ferme âpreté. Il laissa filer quelques secondes de silence, posant un regard apaisé sur Caleb. Ces mots qu’il avait dit, il les trouvait – viscéralement – de trop. Comme des choses qui ne se disent jamais à voix haute, et surtout jamais dans les yeux. Mais après ces quelques instants d’une tension douloureuse et absurde, Rodrigue se sentait mieux ; peut-être parce que pour une fois, il savait ce qu’un autre ressentait sans avoir à employer son maudit sang rough.
Caleb lui demanda alors son aide. Le barman cilla, mais n’attendit pas plus pour se lever de sa chaise. L’espace d’une mince seconde, il considéra de haut la silhouette pâle et fatiguée de Caleb au milieu des draps. Le regard un peu ailleurs, volontairement. Rodrigue retint un sourire tout en se penchant, mais garda le silence. Il posa sa main sur cette de Caleb et la guida machinalement jusqu’à sa nuque pour qu’il y prenne quelque appui, puis glissa un bras derrière son dos. D’une poussée prudente de sa main libre sur le matelas, il aida le Techie à se hisser en position assise, tout en l’aidant à se caler plus confortablement contre l’oreiller. Rodrigue marqua un léger temps d’arrêt avant de songer à se décaler. La peau de Caleb était encore un peu nimbée d’une chaleur de fièvre ; en comparaison, ses propres mains semblaient glacées. Il poussa un léger soupir, et dit d’une voix basse :

« Je ne crois pas que je vais partir de sitôt, Patron. »

Une seconde de silence. Il se recula avec un sourire fantomatique aux lèvres.

« N’oubliez pas que je vous dois la vie sauve, maintenant. »


Rodrigue se rassit, l’air tranquille, non sans avoir caressé un bref instant la tête du reptomarsupial perché sur les genoux de Caleb. Soudainement intrigué par ce détail, le barman désigna d’un signe de tête les jambes du trafiquant d’armes, et demanda :

« … Comment va votre jambe ? »
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Caleb Mancuso

- Attachiant de service - Punching-ball adoré!

Caleb Mancuso

Signalement : Hume Evolus d'environ trente ans, pas très grand (1m72) et peu épais en ce moment, cheveux châtains, yeux noisette, bel homme, vêtements de très belle facture, pas de cicatrice visible quand il est habillé à part une entaille en virgule sous l'oreille gauche


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MessageSujet: Re: Maison de Rodrigue ¤ "Lève-toi et marche"   Maison de Rodrigue ¤  "Lève-toi et marche" I_icon_minitime18.07.09 20:56

Rodrigue s'était levé et Caleb avait détourné les yeux. Il avait besoin d'aide, c'était un fait, mais cela continuait à le rendre malade. Ce soir-là encore plus qu'au laboratoire, d'ailleurs: c'était une chose de s'appuyer sur un homme pour soulager sa jambe, c'en était une toute autre de gésir pratiquement nu sur un lit humide de sueur, dans un état de faiblesse pathétique, et d'être contraint à un appel au secours juste pour s'asseoir. Sans compter que Caleb détestait qu'on se penche de la sorte au-dessus de lui alors qu'il était allongé, que Rodrigue n'était pas beaucoup plus vêtu que lui-même, et que...

"Oh putain de... Tu as les mains glacées!"

Caleb tira sur le bras qu'il avait passé autour des épaules du Lespurien pour accélérer la manoeuvre et s'asseoir plus vite, ses yeux noisette toujours obstinément fixés ailleurs que sur Rodrigue. Un frisson avait escaladé tout son dos au contact des doigts du barman, jusqu'à hérisser les cheveux de sa nuque, et le Techie ne consentit à remercier son employé que lorsque ce dernier daigna se reculer. Et voilà, maintenant cette foutue sensation de malaise qui le titillait depuis son réveil revenait à la charge. Un peu bougon, le trafiquant ramena les draps sur ses jambes d'un geste sec, avant de glisser un regard vers Rodrigue. Il crut surprendre un éclat inquisiteur dans les iris pervenche, et d'après leur direction il pensa que c'était à cause du tatouage qui remontait le long de son dos pour déborder sur son épaule droite. Caleb haussa les épaules:

"C'est mon dragon que tu regardes comme ça? Pourquoi, tu n'as pas fait de conneries toi quand tu avais quinze ans?"

Un sourire, un peu faiblard, un peu fuyant, mais un sourire quand même, à peine entaché par la profonde réflexion lancée derrière les prunelles claires du Techie. Il observait cet homme assis à côté de lui, son expression douce, ses yeux qui luisaient d'une extraordinaire lueur violette dans la pénombre ménagée par les bougies. Sa voix, qui s'était faite presque menaçante quand son patron avait parlé de démission, comme si c'était une insulte. Sa voix qui s'était faite basse et amicale lorsqu'il avait murmuré son désir de rester encore un bon bout de temps. Et Caleb, qui était encore jeune lui aussi, ne parvenait pas à comprendre.

On ne trahit pas deux fois la confiance des autres. Cette leçon, c'était son ancien garde du corps qui la lui avait apprise. Cruellement, en le laissant seul à l'hôpital avec sa jambe ruinée pour toujours et son coeur en bout de course. Le trafiquant avait encaissé comme il le pouvait (c'est-à-dire mal), et il ne l'avait jamais oublié. A son sens, Rodrigue lui avait déjà fait une faveur en s'occupant de lui jusqu'à son réveil - quoique, peut-être était-ce simplement parce qu'il n'avait pas eu le choix, et qu'il aurait réagi tout autrement s'il avait pu atteindre l'hôpital cinq jours auparavant. C'était une explication simple, tristement rationnelle, qui avait l'avantage de rentrer parfaitement dans les déprimants canons des relations que Caleb entretenait avec ses pairs.

Si Rodrigue tenait à rester, cela changeait tout. Cela aurait pu être par intérêt, bien sûr, par simple et compréhensible désir de garder ce qui restait un excellent travail. Mais le Techie avait vu son sourire, il avait encore au creux de l'oreille les douces intonations de sa dernière phrase - n'oubliez pas que je vous dois la vie sauve. Je vous dois la vie sauve. Caleb cilla. La vie sauve. Parce qu'il était revenu sur ses pas. En proie à un étrange et douceureux désarroi, le trafiquant se passa une main dans la nuque, toujours tourné vers Rodrigue mais cette fois sans le regarder dans les yeux.

"Je t'en prie, je..."

Je quoi? Avait-il fait cela pour racheter ses précédentes conneries? Explication séduisante, mais bien trop réfléchie: sur le coup, il avait réagi instinctivement, et il le savait. Sans oublier qu'il n'était pas certain d'être à l'origine de l'ire du laboratoire, pas certain du tout: peut-être que même s'il s'était montré plus raisonnable, leur destin s'était trouvé scellé dès le premier pas qu'ils avaient fait dans ce maudit laboratoire. Et pas à cause de sa présence à lui.

"J'ai fait ce que j'avais à faire. C'est tout."

*Même si techniquement j'en suis mort.*

"Et puis, tu n'es pas parti, toi, quand je me suis retrouvé coincé dans ce trou à rat."

Caleb hésita. Malgré la fatigue, il avait bien remarqué que Rodrigue n'aimait guère évoquer ce qu'il s'était passé au coeur de ce blizzard, et il ne voulait pas le mettre de mauvaise humeur. Cependant, plus il repensait à ces ruines rough, plus il avait la sensation que c'était le Lespurien qui les avait le plus agacées, bien plus que le Techie fouineur qu'elles n'avaient que trop facilement piégé. Il hésitait à en faire part au principal intéressé, lorsque celui-ci s'intéressa soudain à un tout autre sujet:

"… Comment va votre jambe ?"

Surpris, Caleb suivit instinctivement le regard de Rodrigue pour découvrir que Chips, faute de ventre ou de torse à envahir, utilisait à présent ses genoux comme oreiller.

"Bien, je crois. Je ne la sens même pas."

Le Techie avait répondu d'une voix creuse, ralentie par une stupeur à l'arrière-goût d'angoisse. Son compagnon à fourrure redressa la tête d'un air inquisiteur, troublé par la gêne qui émanait de l'hume, et ce dernier ajouta un ton en-dessous:

"En fait, je n'ai pas non plus senti que Chips était là."

Silence. Pesant, de ces calmes qui précédent les pires orages et leur grêle de catastrophes. Quelque chose n'allait pas. Pas du tout. Caleb s'en rendait enfin compte: le malaise qu'il éprouvait depuis qu'il était assis n'avait rien à voir avec la petite atteinte de Rodrigue à sa maladive pudeur. C'était plus discret, et c'était surtout physique. Il ne l'avait pas compris plus tôt, parce que si on remarque aisément une sensation nouvelle et désagréable, il est beaucoup moins évident de découvrir que quelque chose manque...

Caleb croisa le regard de Rodrigue. S'il était encore trop stupéfait pour que son visage pâle arbore la moindre expression, sa terreur se voyait déjà au fond de ses yeux bruns, une terreur étouffante - parce qu'une part de lui savait déjà. Elle savait depuis longtemps.

Sans prévenir, le Techie tendit le bras vers la table de nuit pour se saisir du couteau posé à droite de l'assiette fumante. Puis il repoussa Chips avec une rudesse qui ne lui était pas coutumière, arrachant à l'animal un glapissement moins indigné qu'apeuré: qu'est-ce qu'il se passait?

Caleb repoussa violemment le drap qui couvrait le bas de son corps, soudain totalement indifférent à l'absence de ses vêtements. Pour ses yeux, tout avait l'air normal. Ses jambes étaient là, parfaitement raccordées à son tronc. Sur son abdomen, aucune limite visible, aucune cicatrice supplémentaire là où le reflet s'était fait couper en deux. Caleb posa la lame du couteau à plat sur son estomac. Il sentit parfaitement le froid du métal. Il la fit descendre le long de son flanc gauche, et ce fut seulement à cet instant que son visage commença à se décomposer. Dès les dernières côtes, le contact lui sembla moins net, les contours du couteau se firent moins précis. Au niveau du nombril, il ne restait plus qu'un fourmillement. En-dessous, plus rien.

Plus rien.

Caleb s'immobilisa, le regard fixe, ne respirant plus qu'à la façon superficielle des asthmatiques. Il ne parvenait pas à penser. Il ne parvenait pas à comprendre.

Non...

Un geste brusque, et le couteau entama sa cuisse juste au-dessus de sa cicatrice, assez profondément pour que le sang emplisse immédiatement la plaie avant d'en déborder presque aussi vite. Caleb ne l'avait pas plus senti que si cela avait été la jambe d'un autre.

Non... oh non, non, non...

Le filet carmin se poursuivit jusqu'au matelas, tachant le drap housse. Chips émit un gémissement sourd, cette fois ouvertement inquiet. Mais ce ne fut pas lui que Caleb regarda. Le Techie leva lentement les yeux, comme engourdi, et son visage défait se tourna vers Rodrigue. Ses prunelles claires étaient embrumées de larmes dont pour une fois il se foutait éperduement.

"Rodrigue... je... je ne..."

Il ne parvint pas à le dire. Il n'en avait pas besoin; il suffisait pour comprendre de voir le regard horrifié qu'il posait à nouveau sur sa plaie, et la main qu'il venait de plaquer sur sa bouche pour contenir le tremblement de sa mâchoire.
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Rodrigue Llorandes

- Un dernier verre ? Mmh ? - Innocent perverti

Rodrigue Llorandes

Signalement : Hume, la trentaine, carrure solide, 1m85, cheveux noirs, yeux bleu pervenche, cicatrice sous l'oeil gauche.


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MessageSujet: Re: Maison de Rodrigue ¤ "Lève-toi et marche"   Maison de Rodrigue ¤  "Lève-toi et marche" I_icon_minitime20.07.09 22:09

C’était facile d’y croire, finalement. Terriblement facile : il suffisait de fermer les yeux et de cesser d’écouter – comme les autres – et se dire des mots, mensongers jusqu’à la plus fine courbe de leurs lettres.


Tout ira bien.


Frémissement des cils. Rodrigue soutenait le regard du Techie, un affrontement atone d’un regard violet noirci d’absence et des cercles d’ambre, cristallisés dans une stupeur blessée. Tout ira bien…La formule magique qui aurait conclu d’un tour de clef le dénouement de cette histoire. Le temps que Caleb prit pour découvrir ses jambes sembla se distendre indéfiniment sous les yeux voilés de Rodrigue, comme un ressort. Il comprenait. Sans tout saisir – mais il comprenait, et il redoutait d’avoir raison. Lorsque le mot « jambe » avait franchit ses lèvres, des écluses s’étaient déjà ouvertes – la mauvaise clef, tournée dans une serrure un peu sorcière…Et il avait revu la neige et le sang. Le corps tranché. Les jambes, justement : trop loin, perdues sous les débris. La vie qui s’éloigne – l’âme détachée du corps qui s’éclipse en un instant. Il l’avait vu mourir.

Flap. Le drap vola, se tordit mollement dans son élan, et retomba avec une légèrement cynique sur le côté. Allez, ôte ce linceul. Mais lève-toi, maintenant, marche. Reviens. Le ressort, tendu au maximum claqua, frappa son tonnerre moqueur. Non. On ne triche pas avec la mort.

Si la respiration de Caleb était soudainement devenue erratique, tandis qu’il faisait glisser la lame du couteau le long de sa peau, le Lespurien lui, manquait de souffle. C’était le silence, un écho vide mais lourd dans ses poumons qui refusaient l’air le temps d’une profonde stupeur indignée. Son regard suivit le parcours de la lame froide, qui creusait un furtif sillon d’ombre amortie sur la peau pâle de son abdomen. Il était hypnotisé. Effrayé, aussi. Un trouble un peu semblable à l’incompréhension suffocante qui le tuait doucement, lorsque sa mère divaguait au creux de ses draps, et parlait de mourir, et d’autres choses, comme si ce n’était pas grave, comme si ce n’était rien pour personne – rien pour l’enfant qui l’écoutait et la regardait avec dévotion.

Arrête. Arrête, par pitié. Tu es…

Le couteau se planta dans la chair.


Rodrigue eut un geste maladroit, aussi vif qu’indescriptible – exactement comme si c’était lui que l’on avait frappé, et pas la jambe qu’il fixait jusque là. Il sursauta sur sa chaise, qui se recula dans un grincement sec. Ses mains, qu’il avait élevées sans s’en rendre compte, barraient son front. Et l’œil mort brûlait d’une pluie absente. Cela ne dura qu’une seconde, peut-être moins. Ses bras retombèrent sur ses genoux, et sa réaction ne fut peut-être qu’une surprise trop nerveuse, vite oubliée. Le regard qu’il coula sur la larme sanglante était dur et sombre. Ses mâchoires étaient crispées, comme pour contenir une envie féroce de mordre – mais quoi, qui ?


Regarde. Il ne sent plus ses jambes. Tu sais ce que ça veut dire, non ?


"Rodrigue... je... je ne..."



Un frisson, long, reptilien. Tout le long de sa colonne ; et il ne songea même pas à dissimuler son trouble, trop absorbé par une évidence douloureuse à voir. Ses yeux étaient grands ouverts, figés sur le drap taché de sang. Il chercha à s’en détacher, à fuir une vérité troublante, et il se força à regarder Caleb dans les yeux ; mais ce ne fut que pour constater qu’il était au bord des larmes. L’envie de mordre se mua aussitôt en une envie, bête et viscérale, de hurler. De rage ou d’une terreur primaire, il ne savait pas exactement. Ce regard lui faisait mal – peut-être parce qu’il donnait l’impression que Caleb, dans son désarroi, cherchait à se raccrocher à quelque chose. A lui.

Mais pourtant, pourtant…si tu es à moitié mort…
C’est à cause de…
ce maudit sang qui pourtant se glace dans mes veines.



Rodrigue se leva de sa chaise en un bond. En un instant, sa main s’était projetée vers l’avant, portée par une envie brûlante d’en finir avec ce spectacle indécent de souffrance humaine. Ses doigts se refermèrent sur la main de Caleb, pour lui ôter d’une poussée sèche le couteau imbibé de sang. Sa main vola. En sens inverse, avec une fureur sifflante et sertie dans chaque muscle tendu d’ombres de son bras – une fureur que son visage ne parvenait même pas à exprimer. Le couteau projeté à l’autre bout de la chambre se ficha sinistrement dans le bois du mur.
Rodrigue avait le souffle court, sa poitrine ceinte de bandages se soulevait à un rythme nerveux. Ses cheveux noirs tombaient sur ses tempes et assombrissaient son regard égaré sur le visage ravagé de Caleb.

C’était simple, cette histoire se terminait mal. Une virgule à l’envers qui devenait une faucille mortelle ; une mauvaise clef, une mauvaise porte – et, loin d’un dénouement heureux, un gouffre béant et familier. C’était simple. Rien ne pouvait aller bien parce que rien ne pouvait changer la tare de son sang qui appelait la destruction. C’était parce que Caleb était revenu sur ses pas pour l’aider que le clone s’était fait détruire à sa place. C’était parce qu’il l’avait sauvé, lui, le « garde du corps », que Caleb venait vraisemblablement de perdre l’usage de ses jambes.


« Arrêtez. »


Ce seul mot, plus proche d’une supplique que d’un ordre, parvint à s’échapper des lèvres de Rodrigue. Il sembla hésiter un moment, comme perdu, puis il s’agenouilla au pied du lit, en saisissant avec plus de douceur le poignet de Caleb. Pour attirer son attention, juste un instant. Il guetta son regard, l’accrocha avec ce qui lui restait de sang-froid, et murmura :

« Caleb, je… »

Ses lèvres frémirent, sans articuler un mot de plus. Et quoi ? Pouvait-il dire qu’il était désolé ? Il l’était, c’était certain. Mais l’homme aux yeux agrandis par l’horreur ne pouvait pas entendre cela. Il le savait bien, que certaines souffrances étaient faites pour ne pas être partagées. Désolé, ce n’était pas ce qu’il fallait dire. Pas encore, du moins.
Le Lespurien renonça, sachant sa tentative de réconfort aussi absurde que désespérée ; il se redressa et lâcha sans empressement la main du Techie. Son regard s’attarda une seconde sur lui, puis il se détourna vivement du lit. En quelques pas vif, il se dirigeait vers le bahut, glana une chemise noire qui reposait aux côtés des affaires personnelles de Caleb, et l’enfila sans broncher face aux pliures douloureuses de sa peau brûlée.

« Je vais chercher le docteur. »

En prononçant ces mots froids mais vibrant d’une nervosité inaccoutumée, Rodrigue retraversa sa chambre en sens inverse, sans vraiment oser regarder du côté du lit, en finissant de boutonner son vêtement. Il marqua un temps d’arrêt devant la porte, sembla amorcer un mouvement pour se retourner, puis parut y renoncer également. Il lui semblait que ces gouttes d’eau au coin de ce regard allaient le hanter durablement. Surtout si…

Non, ils allaient arranger ça. Le médecin…trouverait une solution. Sûrement.


Le Lespurien attendit à peine d’être à l’extérieur pour se mettre à courir. Il laissa avec une joie un peu folle le vent froid griffer son visage, tel un rappel. Il courait, peut-être pour revenir vite. Comme s’il trouvait inquiétant de laisser le Techie seul l’espace d’un quart d'heure, après l’avoir continuellement veillé pendant cinq jours. Il courait. Dans la brume et le froid qui lui rappelaient que le monde en dehors de sa maison avait continué d’exister, malgré tout. Il atteignit au bout de sa course un comptoir postal assez proche de sa rue, dans laquelle il entra en trombe. Il s’approcha du téléphone, et composa fébrilement le numéro qu’il avait eu tout le temps de mémoriser. Quelques tonalités plus tard, la voix du vieux médecin Balayeur se fit entendre. Il se présenta rapidement, et l’homme répondit avec stupeur :

« Ah, par l’Etat…Mancuso serait… ?

_ Il s’est réveillé, le coupa brusquement le Lespurien. Mais il y a un…un problème. Venez vite.
»

La voix du médecin ne cachait aucunement son soulagement de savoir Caleb en vie, et son inquiétude croissance quant au « problème » évoqué par le barman. Rodrigue se sentait à bout de force. Et lorsqu’il raccrocha avec la promesse d’une visite imminente, il resta pantelant quelques secondes, la main crispée sur le combiné et le front pressé contre sa paume.
Il n’avait tué personne, cette fois. Mais jamais il n’avait ressenti une culpabilité si mordante.

Lorsqu’il releva la tête, son regard croisa celui violet et éreinté de son reflet dans l’immense miroir du couvrait le mur du bureau de poste. Et le vertige fut.
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MessageSujet: Re: Maison de Rodrigue ¤ "Lève-toi et marche"   Maison de Rodrigue ¤  "Lève-toi et marche" I_icon_minitime

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