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 Kwi Rough Project

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Caleb Mancuso

- Attachiant de service - Punching-ball adoré!

Caleb Mancuso

Signalement : Hume Evolus d'environ trente ans, pas très grand (1m72) et peu épais en ce moment, cheveux châtains, yeux noisette, bel homme, vêtements de très belle facture, pas de cicatrice visible quand il est habillé à part une entaille en virgule sous l'oreille gauche


Kwi Rough Project Vide
MessageSujet: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime17.04.09 23:50

Il avaient sellé les chevaux et étaient partis à l'aube, juste après la fermeture du D Bar, si bien qu'à présent ils étaient à une bonne quinzaine de kilomètres de Secaria; derrière-eux, la cité s'engloutissait dans sa propre bulle de vapeur et le brouillard qui émanait des pylônes tout proches, si bien qu'on ne la distinguait plus qu'à grand peine des collines environnantes. Il n'y avait pratiquement pas de vent, mais le ciel était couvert et la brume omniprésente, si bien qu'ils devaient prendre garde à ne pas s'éloigner de plus de dix mètres l'un de l'autre pour ne pas se perdre.

« Mais quelle idée d'habiter dans une maison sur pattes, quand même... »

Caleb était grincheux, et il ne faisait rien pour le dissimuler. Il tira d'un coup sec sur les rênes et son cheval s'arrêta en renâclant, sans que le Techie y prête attention. Il n'avait jamais aimé les chevaux, qui le lui rendaient bien. Lui, son truc, c'était les bateaux, les machines à vapeur, la nage. Pas parcourir la toundra sur le dos d'une bestiole capricieuse dont chaque soubresaut lui massacrait l'entrejambe. Sans compter que depuis qu'on lui avait bousillé le genou droit, l'ennuyeux moyen de transport était devenu une douloureuse épreuve, d'autant plus lorsque le temps était exécrable. Comme ce matin-là.

« J'espère qu'il sera à l'heure: j'ai l'impression que le blizzard va se lever. »

Caleb se pencha en avant et massa brièvement sa jambe raidie, qu'il avait dégagée de l'étrier. Il avait mal. Vraiment mal, cette fois, et depuis le temps il savait que ce n'était pas sans lien avec la dégringolade du baromètre. Il allait faire très moche.

Le Techie se redressa, porta l'une de ses mains gantées à sa poche pour y piocher son arcanoboussole, instrument aussi rare dans ce format de poche qu'il était compliqué à lire. Mais l'Arcano qui avait été le patron de Caleb pendant toute son adolescence s'était avéré un excellent professeur. Ainsi, le trafiquant n'eut besoin que de quelques minutes pour consulter les trois aiguilles et les chiffres qui défilaient au sommet du cadran, avant de conclure qu'ils se trouvaient au bon endroit.

« C'est ici. Ne reste plus qu'à attendre. »

« Kwi naaaan... » ><

« Tu vas pas râler toi en plus, déjà qu'on a la patience de t'emmener! En plus tu es à l'abri! »

Un grognement s'éleva du sac fixé sur la croupe de la monture de Caleb, et un museau rouge couronné d'un bonnet de laine violet souleva le rabat supérieur pour battre des paupières vers son maître – Chips ne savait pas cligner d'un seul oeil. Le Techie lui répondit d'une grimace amère: malgré son long manteau doublé de fourrure et sa chapka, il crevait de froid.

« Rodrigue? Quand je disais que Chips était un animal tropical et qu'il ne supportait pas le froid, je pensais que tu garnirais le sac de couvertures. Pas que tu lui trouverais... des vêtements... »

Caleb posa un regard désabusé sur son barman, qui semblait beaucoup plus à l'aise à cheval que lui – ce qui, soit dit entre nous, n'était pas difficile. C'était la première fois qu'il demandait à Rodrigue de l'accompagner pour affaire, en temps que garde-du-corps. Il voulait voir ce que l'homme aux yeux pervenche valait dans ce genre de situations. Pour cela, il avait volontairement choisi une occasion bénigne, qui n'avait aucune raison de mal tourner: un client de longue date, tout à fait amical, qui voulait un cadeau inoubliable pour la majorité de son fils aîné. Le seul inconvénient étant que l'huluberlu en question était un cinglé de première, et qu'il vivait dans une maison itinérante qu'il refusait de faire approcher des « mauvaises ondes » de Secaria. Loin des chemins praticables par les calèches.

Caleb allait dire à Chips d'arrêter de gigoter, lorsqu'un lointain bruit de pistons lui fit tourner la tête. Le son s'approchait rapidement, et ce n'était pas un bruit, mais un véritable vacarme, un concert déglingué à base de sifflements de vapeur et de grincements métalliques suraigus qui firent hennir les chevaux. Puis elle émergea de la brume, d'un seul coup, et Caleb laissa échapper un juron typiquement twinkilien: elle était juste énorme. Un vrai manoir sur pilotis mouvant.

« Kwouaouh! » Oo

« Tu l'as dit... »

« Oh héééé, Mancuso! Caleb! »

Les yeux du Techie parcoururent vivement la façade de l'immense machin qui s'arrêtait devant eux dans un nuage de vapeur, jusqu'à ce qu'il repère l'hume rondouillard qui lui faisait de grands signes depuis ce qu'on pouvait appeler le rez-de-chaussée. Pour la première fois de la journée, Caleb sourit.

« Bonjour Rufus. »

« Vous voulez rentrer boire un verre? »

« Non merci, le temps se dégrade rapidement, je préfère rentrer à Secaria le plus tôt possible. Rodrigue? Tu livres ce monsieur? »

Le regard de Rufus se déplaça vers le barman, et pour la plus grande surprise de Caleb le propriétaire de la maison ambulante perdit instantanément son sourire. Il se saisit tout de même de la malette qu'on lui tendait, mais aussi vivement que s'il l'avait arrachée à une substance dégoûtante. Il l'appuya sur le rebord de la fenêtre et l'ouvrit. Caleb s'attendait à le voir réagir avec son enthousiasme habituel, mais l'homme ne parut même pas heureux de découvrir le somptueux Mogwai en aluminium qui reposait sur le velours rouge. Il se contenta de refermer la mallette et d'en tendre une autre à Rodrigue, en fixant le barman dans les yeux. Bien dans les yeux. Caleb, qui devait faire un effort conscient pour effectuer le même geste, le nota parfaitement.

« Merci Caleb. Je vous souhaite un bon retour. Prenez garde aux entités néfastes. »

Il avait parlé sans détacher son regard de Rodrigue.

« Bien sûr Rufus, bien sûr. »

Le trafiquant sourit. Raté, son interlocuteur se contenta de refermer brutalement la fenêtre. En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, la maison ambulante était repartie sur ses innombrables pistons, laissant derrière-elle un Caleb un peu déçu:

« Ne t'en fais pas Rodrigue, c'est un original, mais il n'est pas méchant. D'habitude il est même franchement sympathique. C'est juste qu'il voit des mauvaises ondes partout, tu as dû le perturber parce qu'il ne te connaissait pas. »

Oui, bien sûr, c'était forcément cela. Les yeux de Rodrigue dérangeaient la plupart des gens, rien d'étonnant à ce qu'ils aient fait forte impression à ce cinglé de Rufus. Menfin, tout ce chemin pour ça...

Caleb prit la mallette que lui ramenait Rodrigue et l'ouvrit pour survoler du regard les paquets de billets de dix Carats qui s'alignaient devant lui. Satisfait, il referma la valise sans compter et la rendit à son employé, avant de jeter un coup d'oeil vers Secaria. Et là, pour le coup, lui aussi perdit le sourire.

« On rentre. Tout de suite. »

Il fit tourner bride à son cheval, rectifia une embardée de l'animal avec un grognement mécontent et le lança au petit trot vers le sud. Au-dessus d'eux, le ciel était passé de gris foncé à noir, et le vent commençait à se lever. Le blizzard commençait à se lever.
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Rodrigue Llorandes

- Un dernier verre ? Mmh ? - Innocent perverti

Rodrigue Llorandes

Signalement : Hume, la trentaine, carrure solide, 1m85, cheveux noirs, yeux bleu pervenche, cicatrice sous l'oeil gauche.


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MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime18.04.09 12:58

Rodrigue plissa les yeux, tourna la tête vers sa gauche, puis refixa pensivement l’horizon vaporeux de la toundra. C’était la première fois qu’il s’aventurait hors des murs de Secaria ; preuve était désormais faite qu’il n’avait pas raté grand-chose jusque là : tout n’était que brumes et collines arides, ici. Il s’était attendu à quelque chose d’un tantinet plus exaltant, encore plus lorsque, ce matin là, ils avaient quitté la ville à cheval. Le barman s’était innocemment figuré une éventuelle cavalcade, exactement comme ces courses à cheval qu’il avait fait autrefois sur les sentiers interminables de Lespure en compagnie d’Aurelia. Mais Caleb ne semblait pas apprécier autant que lui cette expédition équestre : lui et sa monture donnaient l’image d’un désaccord nerveux total, sous le couvert d’une docilité patience de la part de l’animal et d’une résignation mortifiée chez le Techie. Rodrigue faillit sourire. Ses poignets retombèrent posément sur ses cuisses. Il sentait contre ses avant bras le métal de ses couteaux, prêts à être dégainés à tout instant ; il était surtout présent en sa qualité de garde du corps. Mancuso devait régler une affaire pour un client – « rien de bien sérieux » avait-il dit. Un anniversaire, en fait. Cela n’empêchait pas le Rough de fouiller régulièrement les alentours de son œil valide, piqué par une intuition assez déplaisante. Cette brume l’étouffait.

Le barman talonna doucement sa monture pour se rapprocher de son patron, qu’il ne tenait pas à perdre de vue dans un tel brouillard. Une précaution qui s’avéra inutile, puisque Caleb décida aussitôt se s’arrêter. Une pression sur les rênes fit également stopper le cheval de Rodrigue, qui planta son regard bleu persan sur la nuque de son patron, attentif. Et comme le Techie commençait à parler tranquillement à son animal de compagnie, le barman se détendit sensiblement.

« …Je pensais que ce serait plus adapté. Être emmitouflé à n’en plus pouvoir bouger ne doit pas être du goût de Chips, vous ne croyez pas ? »


Le ton qu’il mit dans cette réplique avait tout du sérieux le plus professionnel et méticuleux qui soit ; il était inutile d’ajouter que ces fameux vêtements étaient de son fait, et qu’il était assez content de son travail. Le Lespurien cilla, très digne sur son massif hongre noir, et adressa un clin d’œil au reptomarsupial qui se manifestait depuis sa sacoche. Rodrigue coula cependant un œil violet sur ses propres mains protégées par des mitaines, et étouffa sans grand mal un bâillement. Si le froid lui laissait un peu de répit, c’était surtout contre la fatigue qu’il concentrait tout ses efforts. Il se sentait chaque jour plus vidé, mais pas une de ces torpeurs qui obligent au repos, non, une légèreté plus sournoise. La promesse de l’orage sous la brûlure de sa pupille morte. Mais cette expérience troublante que lui offrait son poste au D-bar l’encourageait à tenir debout – debout, aveugle et sourd : comme les autres.

Le soudain vacarme mécanique tira Rodrigue de son état de somnolence pensive : il releva la tête, les sens en alerte, et distingua bien vite la silhouette inconcevable d’un manoir ambulant se détacher progressivement du rideau de brume, et gagner sans cesse en substance à mesure qu’il se rapprochait. Une bourrasque soudaine et chaude fit claquer les pans de son manteau et l’obligea à plisser des yeux. Sa monture – tout comme celle de Caleb, piaffa et manqua de peu de se cabrer de frayeur. Le Lespurien réagit à temps pour apaiser le hongre et flatta son encolure luisante pour l’intimer au calme. Au cœur de ce déluge anarchique de mécanismes en tout genre, un homme apparut à la fenêtre et engagea aussitôt la conversation avec Caleb. Légèrement en retrait, Rodrigue toisa avec circonspection la demeure bardée de pattes articulées, puis fit se rapprocher doucement sa monture de la fenêtre par laquelle Rufus leur parlait. Il délassa la mallette qu’il portait en bagage, puis la présenta avec une précaution minutieuse au client, poignée en avant. Le barman releva la tête, tout prêt à adresser un sourire de circonstance qui aurait presque pu s’apparenter à un « joyeux anniversaire » muet s’il n’avait pas aussitôt rencontré son regard gris pâle. Il ne tiqua même pas lorsque Rufus lui arracha sans aucune délicatesse le présent des mains ; il se contenta d’abaisser tranquillement ses mains, comme hypnotisé. Un frisson lui mordilla l’échine – et s’en était presque voluptueux, autant que terrifiant. Cet homme…savait. Il savait, d’une façon ou d’une autre. Ils se dévisagèrent l’espace de quelques longues secondes. Lorsque le client évoqua les « entités néfastes », il décela un frisson de ses pupilles noyées dans l’orage délavé de ses yeux. Et lui, il sourit. Même derrière de fard impeccablement poudré d’homme qui ne se sent aucunement concerné, il avait envie de hurler et de s’enfuir très loin d’ici. Etait-ce donc écrit sur son visage, qu’il était un être voué à la destruction ? Son œil gauche commença à lui faire mal. Il éleva sa main pour l’occulter, l’air absent. De l’autre main il tenait contre lui la mallette que lui avait remis Rufus. Il y avait une vague fragrance d’iris, non ? Son salon était parfumé. L’iris. Bon sang…

Rodrigue suivit d’un œil le départ précipité de la maison ambulante, puis rabaissa lentement sa main gauche. Une légère poussée sur les rênes fit rapprocher le hongre de la monture de Caleb ; il écouta ses paroles qui se voulaient rassurantes, puis lui tendit l’attaché-case pour qu’il en inspecte le contenu.

« …Je vois. »

Ce fut tout ce qu’il put répliquer, sur un ton monocorde qui plus est. Son regard fouilla une dernière fois les environs, puis il fixa avec soin la mallette dans sa sacoche de voyage. Son trouble était passé ; ou pour être plus exact, il avait consciencieusement ravalé son angoisse naissante ; son seul souhait était de rentrer à Sécaria et de s’accorder une sieste réparatrice – par le biais de quelques somnifères s’il le fallait.


« On rentre. Tout de suite. »


Rodrigue redressa la tête, et soudaine une rafale glacée lui fit aussitôt comprendre les raisons de l’empressement soudain de Caleb ; le blizzard se levait. Rodrigue talonna sa monture, et les deux cavaliers traversèrent au trot la lande envahie par les bourrasques neigeuses, qui dessinaient comme des rideaux opaques et ondoyants tout autour d’eux. Caleb insista davantage sur leur pas ; la monture de Rodrigue renâcla, mais tint le rythme. Le Lespurien tiqua. Même à vive allure et en épuisant les chevaux, ils n’attendraient pas la ville avant que le blizzard se soit tout à fait déchaîné. Les sourcils froncés, Rodrigue releva la tête et scruta en vain les alentours ; il n’y voyait que des longs pans laiteux poudrés de neige, d’où jaillissait parfois la fourche fantomatique d’un petit arbre mort. Mais il savait qu’ils n’étaient plus très loin du laboratoire désaffecté qu’ils avaient longés à l’aller, ce qui leur offrait la possibilité d’une halte, le temps que la tempête s’apaise.
Rodrigue piqua les flancs de son cheval et le poussa au plus près de Caleb. Penché de côté, il agrippa avec fermeté le bras de son employeur, et, plantant son regard violet sur lui avec toute la persuasion que lui autorisait son statut, il éleva la voix :

« Patron. Les bêtes ne tiendront pas toute la route avec ce temps, il faut s’arrêter. »

Il peinait déjà à se faire entendre, tant le vent glacé sifflait à leurs oreilles. Il jeta un coup d’œil à la sacoche enflée où s’était pelotonné Chips, puis son regard glissa un bref instant sur la jambe de Caleb, avant de remonter vers son visage ; ce n’était qu’une façon des plus contournées pour lui signifier qu’il n’y avait pas que leurs montures qui risquaient se s’épuiser inutilement dans cette expédition. Il ne lâcha le bras de Caleb que lorsqu’il perçut son accord, et reprit :

« De quel côté se trouve le laboratoire ? »
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Caleb Mancuso

- Attachiant de service - Punching-ball adoré!

Caleb Mancuso

Signalement : Hume Evolus d'environ trente ans, pas très grand (1m72) et peu épais en ce moment, cheveux châtains, yeux noisette, bel homme, vêtements de très belle facture, pas de cicatrice visible quand il est habillé à part une entaille en virgule sous l'oreille gauche


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MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime18.04.09 20:59

Un abruti, voilà ce qu'il était, un parfait abruti. Il habitait en Vanor depuis près de deux ans, et il n'était toujours pas fichu de se méfier du blizzard hivernal. Il le savait pourtant que ce vent de mort pouvait se lever en quelques minutes, que les prévisions météorologiques de la radio ne valaient rien, que c'était toujours un mauvais signe si la douleur dans son genou s'aggravait d'un jour à l'autre. Et pour couronner le tout, il avait bêtement refusé l'hospitalité de Rufus, sans même se demander sérieusement s'ils auraient le temps de rentrer à Secaria.

La réponse était: "je ne pense pas".

Néanmoins, Caleb continuait à avancer sans tenir compte des piaffements de plus en plus réguliers de son cheval bai: pour maintenir ce dernier au trot, il devait serrer continuellement les jambes tout en les gardant pliées, et la brûlure ronronnante dans son articulation abîmée était en train d'escalader sa cicatrice pour envahir les muscles de sa cuisse. C'était violent au point que Caleb n'aurait pas pu affirmer avec certitude que c'était le vent glacé qui noyait ses yeux de larmes, et que cela faisait plusieurs minutes qu'il avait décroché de la réalité. Toute sa volonté ne lui servait plus qu'à supporter sa jambe pétrie de crampes et à se diriger vers le sud, vers Secaria, vers la chaleur et la morphine. Entêtement tristement paradoxal étant donné que ses neurones paralysés de douleur ne semblaient même plus prendre en compte que dans ces tourbillons fantômatiques de particules gélées, il lui aurait fallu garder les yeux fixés sur son arcanoboussole pour être sûr d'emprunter la bonne direction; là, ils pouvaient parfaitement être en train de tourner en rond.

Quelque chose tira violemment sur son bras et Caleb découvrit avec une surprise quelque peu malsaine le visage bronzé qui le scrutait à travers les rafales neigeuses: tiens, Rodrigue était avec lui?... Ah oui, c'était vrai. Son garde du corps du jour. Il avait l'air de prendre sa tâche au sérieux en plus, un bon point pour lui.

Pardon?

"Se... s'arrêter?"

Le Techie s'essuya les yeux avant de regarder autour de lui, paupières plissées pour se garantir des minuscules flocons de neige qui commençaient à lui piquer le visage comme autant d'aiguilles. Le blizzard balayait le brouillard pour ériger à sa place un mur mouvant et incisif qui les entourait de toutes parts et se rapprochait rapidement d'eux. Bientôt, Caleb serait à peine capable de distinguer les traits de Rodrigue. Le crin sombre de leurs chevaux se couvrait déjà de cristaux blancs, leurs flancs tremblaient contre les mollets de leurs cavaliers. Et puis, même embrouillé par la souffrance comme il l'était, le Techie n'avait pas raté le regard que son employé avait ostensiblement posé sur sa jambe blessée. Encore moins celui qu'il avait eu pour la sacoche qui servait d'abri à Chips, que Caleb trouva soudain d'un calme inquiétant. Oui, le barman avait raison, ils ne pouvaient pas continuer comme ça. Mais s'arrêter? Là-dedans?

Ce fut à cet instant que le lespurien évoqua le labo abandonné. Soudain plus éveillé, Caleb fixa son employé comme s'il venait de lui annoncer son prochain mariage avec Rufus:

"Le labo? Tu es dingue?! Ca pue le rough du sol au plafond!"

Mais alors même qu'il parlait, ou plutôt qu'il hurlait, le trafiquant réalisa qu'ils n'avaient pas le choix. La toundra désertique et plane ne leur offrirait aucun abri. Ils étaient bien trop loin de la cité, la tempête s'installait bien trop vite. Et la maison ambulante était sûrement déjà loin. Sans lutter pour ajouter autre chose, le Techie se décida enfin à aller piocher son arcanoboussole dans sa poche. Même à travers les gants, ses doigts étaient engourdis par le froid, et il mit un certain temps avant de pouvoir régler les aiguilles comme il le fallait. Il déchiffra le cadran pendant ce qui sembla une éternité, avant de tendre le bras vers la droite et l'arrière. Il rangea le précieux instrument et relança difficilement son cheval, auquel il finit par lâcher la bride: l'animal suivait instinctivement le hongre que Rodrigue menait d'une main experte, ce qui valut au lespurien l'infinie gratitude du piètre cavalier qui lui servait de patron.

Quelques longues minutes plus tard, la masse sombre et trapue des ruines recherchées émergeait des drapés mortels tissés par le blizzard. Ils firent rapidement le tour du bâtiment principal, avant de repérer un mur écroulé qui donnait sur l'intérieur. Ils y firent passer les chevaux, et la morsure du vent s'évanouit instantanément, ce qui arracha un soupir de soulagement à Caleb. Il faisait toujours effroyablement froid, mais par rapport à ce qui faisait rage au-dehors, c'était une température presque agréable.

"D'accord, c'était quand même une bonne idée. Fais-moi penser à discuter de ta prochaine augmentation quand on sera rentrés au bar."

Le chavel baie s'ébroua pour débarrasser sa crinière de la neige qui l'encombrait, comme s'il approuvait les paroles de son cavalier. Le Techie ôta sa chapka et tenta (sans grand succès) d'aplatir ses cheveux ébouriffés, avant d'expirer un long panache de vapeur d'eau et de poser un regard panoramique sur les lieux. La salle dans laquelle ils se trouvaient était toute en longueur. Un guichet creusé dans le mur nord et quelques bancs et tables jetés contre un mur évoquaient une cantine. Mais pour l'instant, aucun fantôme d'employé ou de cuisinier en vue.

"Chips? Ca va?"

Aucune réponse. Et le soulagement du Techie s'évanouit.

"Chips?"

Il échangea un regard avec Rodrigue, avant de se retourner brutalement sur sa selle. Il s'emmêla avec la fermeture du sac fixé sur la croupe du cheval, manqua l'arracher. Puis la boucle sauta d'un coup et Caleb l'ouvrit d'un geste vif.

Chips releva le museau de ses pattes antérieures, lui adressa un regard ensommeillé sous le rebord de son bonnet: moui, c'était à quel sujet? Puis il émit un long bâillement, et Caleb eut un regard désabusé pour son barman:

"Un jour cette bestiole me tuera."

Il jeta un autre regard autour de lui, avant d'ajouter:

"Il faudrait peut-être trouver une pièce plus abritée: on risque de devoir rester ici un bout de temps avant qu'il y ait une accalmie. Pourvu que ça ne dure pas trois mois, comme la dernière fois..."

Silence. Caleb ne trouvait pas cet endroit très inquiétant, mais il sentait qu'il en irait autrement s'ils devaient s'y installer pour plusieurs jours. Particulièrement après le coucher du soleil. Le Techie voulut dégager sa jambe droite de l'étrier pour descendre de son cheval, mais la décharge de douleur qui tranperça son genou le poussa à se figer en plein mouvement. En dépit de ses pommettes rougies par le blizzard, il avait pâli.

"Hum... Rodrigue? Tu vas jeter un coup d'oeil dans le reste du bâtiment, voir si tu peux trouver un endroit où faire un feu. Moi je vais rester ici et surveiller les chevaux en attendant."

Les prunelles noisettes se posèrent sur le barman, froides et insistantes. C'était un ordre, pas une suggestion. Caleb savait qu'en temps normal, il n'était pas assez grand pour descendre calmement de cheval: il fallait qu'il saute à bas de sa selle. Or il sentait que son genou au supplice ne le soutiendrait pas. Et il ne voulait pas que Rodrigue le voie dans cet état.

"Mais reste sur tes gardes: tu te rappelles ce que je t'ai dit sur les endroits roughs..."
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Chips

- Aéro-propulsé -

Chips

Signalement : Grosse bête rouge et dodue d'environ 7kg, toupet de la queue et pointe des oreilles bleues, mâchoire de reptile pleine de dents pointues, griffes aiguisées capables d'escalader n'importe quoi y compris votre jambe


Kwi Rough Project Vide
MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime18.04.09 21:45

Alors ça, c'était une sortie d'en-fer!

Chips flottait sur un petit nuage rose depuis le lever du soleil, lorsque Rodrigue s'était approché de lui avec une boîte à chaussures soigneusement enrobée de ruban rouge. Un cadô. Nan mais attendez, un cadô quoi! Pour lui! Il en avait fait tellement de cabrioles (dont une qui l'avait fait atterrir sur le crâne du lespurien) qu'il avait ensuite failli s'étrangler avec le ruban qu'il s'efforçait de dénouer. Puis il avait découvert les étranges formes de laine tapies au fond de la boîte, ce qui l'avait poussé à lever un regard étonné vers Rodrigue: c'était joli, mais kwi? Alors le barman s'était saisi du petit pull bleu et mauve assorti aux couleurs de l'animal, avant de le lui enfiler avec application. Un nhabit. Un nhabit pour Chips. Ô jouissance!!!

Il n'avait juste pas très bien compris pourquoi Caleb faisait sa tête de je-suis-trop-vieux-pour-ces-conneries (terme que Chips tenait de la bouche même du Techie, donc forcément officiel).

Puis le reptomarsupial avait fait un bond du septième au dix-huitième ciel: il allait faire une balade à chawal! Caleb ne l'emmenait jamais faire des balades à chawal, pas depuis qu'ils avaient quitté Adhenor en tout cas, alors qu'il adorait ça lui! Bon, c'est vrai qu'il faisait froid pendant les promenades près de leur nouvelle maison, et que c'était pas toujours très drôle au bout d'un moment. Mais là, avec son armure et son heaume faits rien que par Rodrigue rien que pour lui, il était invincibleuh!

Oui, le cinéma du quartier avait fini son cycle "Cow-boys": maintenant, ils diffusaient des films sur les chevaliers.

Donc ils étaient partis en balade, et Chips avait passé pratiquement tout l'aller la tête hors du sac, ses pattes antérieures posées sur le rebord, museau au vent et oreilles frémissantes de plaisir sous son casque de chevalier - casque qui lui fut bien utile lorsque le Chateau Démoniaque du Méchant Sorcier était sorti de la brume pour les attaquer: grâce à lui, le dragon qui devait certainement dormir au dernier étage n'avait pas osé les attaquer. Puis le vent s'était levé, et l'animal l'avait trouvé un peu frisquet. Alors il s'était roulé en boule au fond du sac, sur la couverture que Caleb y avait installé, et avait fait une petite sieste.

Sauf que... Sauf que maintenant...

Chips émergea du sac et contempla longuement le lieu qui s'offrait à sa vue, le regard étincelant, l'échine frémissante. Les humes et les chevaux n'étaient pas très contents, il le sentait. Mais pourquoi? Ne comprenaient-ils donc pas où ils se trouvaient?...

Menfin c'était un terrain de jeu immense qui sentait comme sa maison dans la jungle! Il fallait l'explorer de toute urgence!

"Chips va avec Rodrigue!" ^^

Et avant même que Caleb ait pu protester, le reptomarsupial sauta à bas de son perchoir. Il atterrit avec souplesse près des pattes arrières du chawal. Puis il émit un cri strident qui terrifia le grand animal bai au point qu'il esquissa une ruade et que l'hume qui le montait faillit vider les étriers.

"KWIIIIIIIIIIIII!!!"

"CHIPS! La ferme!"

"Froaaaaaaaaa!!!" ToT

Chips s'envola plus qu'il ne bondit et planta ses griffes dans la manche du gros manteau de Rodrigue, auquel il s'accrocha de toutes ses forces avant de lever vers lui des grands yeux humides:

"Pas laisser Chips par terre..."

Non mais sérieusement, comment les chawals ils faisaient pour marcher là-dessus? C'était gelé, quoi! Pourquoi le barman lui avait pas fait des bottes de chevalier pour aller avec le reste?

"Rodrigue, rends-le moi. Je le garde ici."

"Kwi nan! Va avec Rodrigue!" ><

"Chips, c'est dangereux!"

"Kwi nan, va avec Rodriiiigue!"

Nan mais c'est vrai quoi, Caleb était gentil, mais il était vraiment pas aventureux. Pas du tout.

...

Mais alors, peut-être que... Bon, fallait faire un effort dans ce cas: Chips adressa à Rodrigue un regard qui se voulait désolé, avant de se hisser sur les épaules du lespurien pour retourner d'un bond sur le chawal de Caleb. Après un atterrissage presque élégant, il se redressa sur son arrière-train et fixa le Techie, l'air solennel:

"D'accord: Chips protège Caleb."

Puis, en un geste qu'il avait vu le trafiquant d'armes faire avec ceux qu'il voulait consoler, il posa sa patte griffue sur l'avant-bras de Caleb.

"Pas avoir peur."

"... Rodrigue? Emmène-le avec toi."

... Bon ben là il comprenait plus rien...

Mais il se tourna tout de même vers Rodrigue d'un air avide: owi emmèneuh-moaaaa...
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Rodrigue Llorandes

- Un dernier verre ? Mmh ? - Innocent perverti

Rodrigue Llorandes

Signalement : Hume, la trentaine, carrure solide, 1m85, cheveux noirs, yeux bleu pervenche, cicatrice sous l'oeil gauche.


Kwi Rough Project Vide
MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime19.04.09 16:26

Lorsqu’ils franchirent le mur en ruines pour échapper aux rafales de vent, Rodrigue poussa lui aussi un soupir de soulagement, qui s’effilocha en un long filet de vapeur. La température était toujours horripilante, mais cette vague impression d’être en sécurité ici lui permit d’en faire momentanément abstraction. Au moins, cet endroit sinistre au possible les protègerait décemment du blizzard. Il regarda autour de lui ; cette pièce ressemblait à un réfectoire. Il y avait quelques herbes chétives et glacées crevant les joins du carrelage, des bancs acculés aux murs, et une porte à double-battants branlante tout au fond de la longue salle.

Rodrigue descendit le premier de selle, et prit le temps de flatter l’encolure blanchie de neige de sa monture en lui murmurant quelques mots de remerciement. Le licou en main, il le fit faire quelques foulées plus en avant, et stoppa l’animal près de la première longue table de la cantine. C’est à cet instant que Caleb interpella Chips. Rodrigue tourna la tête vers eux, et fut tout aussi surpris – ou plutôt inquiet, de ne pas voir le reptomarsupial réagir. Son regard glissa et rencontra brièvement celui de son employeur, juste avant que celui-ci se jette presque sur la sacoche afin de l’ouvrir. Ce ne fut qu’un Chips ensommeillé, mais somme toute en bon état, qui émergea du bagage. Rodrigue sourit, rassuré, et acquiesça avec conviction à la remarque exaspérée de Caleb ; il n’y avait bien que cette bestiole qui fût capable de lui arracher ce genre de réaction précipitée – en plus de lui inspirer des envies de tricot.

Il chassa d’un revers de la paume de la main les flocons picotant la tête de son hongre, non sans songer un bref instant à la jambe boiteuse de son patron. Son regard pervenche se planta sur Caleb, et sa caresse mécanique se suspendit ; à peine nota-t-il le renâclement exténué de son cheval soulevant sa main d’une poussée de ses naseaux fumants. Et comme il ne cessait de fixer Caleb à travers la pénombre de la cantine, la tentative aussitôt avortée du Techie pour descendre de sa monture ne lui échappa pas. Ses yeux se plissèrent légèrement, et il détourna la tête juste avant que son patron ne s’adresse à lui. Affectant l’ignorance, il esquissa un sourire confiant et répondit :

« Entendu, j’y vais. »

Cependant, il resta immobile une poignée de secondes à dévisager Caleb, juste assez longtemps pour soutenir son regard autoritaire, mais pas assez pour légitimer une remarque de sa part. Un sourire, et il se détourna, déboutonna légèrement le col de son manteau et…sursauta au hurlement suraigu de Chips. Le Lespurien fit aussitôt volte-face, passablement alarmé, et vit dans un éclair cramoisi fondre sur lui pour s’accrocher à son manteau. Chips couina, et Rodrigue prit docilement la bestiole du patron dans ses bras – il épargna ainsi à son survêtement de se retrouver agrémenté de quelques accrocs assez malvenus. Il frotta affectueusement la fourrure de Chips sous le pull bicolore, et lui murmura :

« Eh bien, eh bien… Tu ferais mieux de rester là, mon gros. »

Remarque aussitôt appuyée par Caleb, puis contredite par le reptomarsupial, et aussitôt réaffirmée par le Hume. Le regard de Rodrigue fit quelques allers-retours dubitatifs, avant que Chips ne semble se résigner avec beaucoup de bonne volonté à rester auprès de son maître. Les mains libérées, Rodrigue lâcha un soupir presque amusé et se détourna pour commencer son inspection des lieux. Il n’était pas vraiment inquiet, puisqu’il ignorait encore certains aspects et dangers de ces « lieux roughs » ; ce que lui en avait dit Caleb à ce sujet alimentait davantage sa curiosité que sa crainte. Mais tandis qu’il s’approchait tranquillement de la porte à double-battant, la voix de Caleb l’interpella à nouveau :

"... Rodrigue? Emmène-le avec toi."


Silence. Le Lespurien détourna la tête, le visage fermé si l’on omettait la ridule de perplexité logée entre ses sourcils. Ces deux-là… Quand ils commençaient à se chamailler, il ne savait plus s’il devait trouver ce spectacle drôle ou juste déroutant.

« Oui chef, j’arrive, chef » marmonna-t-il en esquissant un garde-à-vous.

Le Lespurien rebroussa chemin sans se presser. Une fois arrivé à la hauteur du cheval bai, il laissa Chips s’installer sur ses épaules, et l’y accueillit avec une tape affectueuse sur la tête. Cependant, il se saisit également du licou de la monture de Caleb, qu’il fit avancer à pas lents jusqu’aux côtés du hongre noir.

« Il me semble qu’il y a moins de courants d’air, par ici. Ce serait embêtant s’ils tombaient malades. »

Il releva la tête pour adresser un sourire fantomatique à son patron respirant (autant que faire se peut) l’innocence. Evidemment, cette manœuvre n’avait absolument rien à voir avec la présence fortuite et immédiate d’une de ces tables de réfectoire, toute disposée à servir de marchepied. Non, non.

« J’y vais. »

Sans adresser un coup d’œil supplémentaire à son patron, Rodrigue se dirigea à nouveau vers les portes, Chips perché sur son épaule. Lorsqu’il poussa les battants avec précaution, il ne vit qu’un long couloir…de travers. A partir du seuil de ce réfectoire, cette partie du bâtiment semblait s’être légèrement affaissé sur la gauche. Certaines lampes murales étaient inexplicablement allumées, diffusant un maigre halo de lumière jaune et fade autour d’elles. Rodrigue éleva la main pour gratter le col de Chips, et poursuivit son avancée. Il essaya la première porte, sur sa droite, mais celle-ci était verrouillée. Il tenta de forcer sur le panneau de la porte, mais ce fut lui qui céda le premier : un frisson grimpa le long de son crâne, et, comme l’autre fois, des minuscules points blancs gondolèrent son champ de vision comme une photographie calcinée. Un éclair chauffé à blanc traversa son crâne. Quand il retrouva ses esprits (combien de temps cela avait-il duré ? Cinq secondes, ou plus ?), il nota que sa main libre était crispée sur sa cuisse, si violemment qu’il lui ne resterait certainement de petits hématomes. Sa main lâcha la poignée de la porte, et il resta haletant quelques interminables secondes ; aurait-il sous-estimé son état de fatigue ? Repoussant cette idée avec mauvaise humeur, il se redressa de toute sa hauteur et reprit son inspection ; la deuxième porte refusa elle aussi de s’ouvrir, et cette fois-ci il n’insista pas. Néanmoins, la troisième n’était pas verrouillée ; il poussa le panneau avec prudence, et scruta un long moment les ténèbres de la pièce avant de pouvoir enfin y discerner quelque chose. Cela ressemblait à un entrepôt de moyenne taille attenant aux cuisines, à en juger par les étagères et les cartons renversés un peu partout. Ouvrant complètement la porte du pied, Rodrigue inspecta patiemment les environs, en laissant Chips vagabonder tout autour. La plupart des cartons était vide, certains contenaient quelques denrées périmées depuis des lustres ; il trouva cependant une vieille boîte d’allumettes patinée sur l’une des étagères, et pu ranimer la lampe à huile murale – par chance, son réservoir était encore plein. Comme la pièce était cette fois décemment éclairée, Rodrigue fouilla les alentours des yeux et jugea qu’elle serait un asile adéquat puisqu’elle n’était pas très éloignée de la sortie, tout en étant hors de portée des rafales glacées du blizzard.

« Chips, non. » intervint le Lespurien en avisant le reptomarsupial occupé à griffer une boîte de conserve à l’aspect douteux. « Ne mange pas ça, c’est mauvais… Attends voir… »

Rodrigue déboutonna complètement son manteau, et sortit d’une poche intérieure son fameux « ultime paquet de chips de secours », qu’il lança prestement à la bête rouge pour contenter son appétit. Le barman repoussa quelques cartons sur les côtés, près d’un volumineux conduit de chaudière qui traversait le mur, pour aménager un espace libre au centre de la pièce.

« Ca devrait aller » murmura-t-il en se redressant lentement.

Il avisa le couloir sombre et silencieux, et se figea, sans raison particulière. Il fronça les sourcils ; son œil devait lui jouer encore des tours. Ce n’était franchement pas le moment d’avoir de nouvelles hallucinations – vraiment pas. Le Lespurien regagna la cantine après avoir récupéré Chips sur ses épaules, peu soucieux de garnir son manteau des miettes de ses gâteaux salés. Il repoussa un battant de la porte, et chercha Caleb des yeux.

« Patron ? Y’a une pièce qui devrait faire l’affaire, là-bas. J’ai trouvé un peu d’huile et des allumettes, pour le feu. »

Il marqua une pause, le regard fixe, puis rajouta sur un ton prudent qui ressemblait à s’y méprendre à une hésitation :

« …vous allez bien ? »
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Caleb Mancuso

- Attachiant de service - Punching-ball adoré!

Caleb Mancuso

Signalement : Hume Evolus d'environ trente ans, pas très grand (1m72) et peu épais en ce moment, cheveux châtains, yeux noisette, bel homme, vêtements de très belle facture, pas de cicatrice visible quand il est habillé à part une entaille en virgule sous l'oreille gauche


Kwi Rough Project Vide
MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime20.04.09 2:24

Rodrigue l'avait fait exprès.

Caleb n'était peut-être pas le plus intelligent des hommes, mais il n'était ni idiot, ni aveugle. Il avait hoché la tête quand son employé avait parlé de garantir les chevaux des courants d'air, mais son visage fermé prouvait qu'il n'était pas dupe. Evidemment qu'il avait repéré la table; sa proximité et l'usage qu'il pourrait en faire lui avaient sauté aux yeux dès que Rodrigue avait arrêté le cheval. Ce qui était plus inattendu, c'était que le barman avait tenu le même raisonnement.

Le trafiquant d'armes observa attentivement le lespurien qui s'éloignait, Chips sur les épaules, et ce jusqu'à ce qu'il disparaisse hors de l'ancien réfectoire. Rodrigue avait beaucoup changé depuis qu'il avait commencé à travailler au Downward Bar. Il était bien moins laconique, plus chaleureux. Son sourire était plus naturel, son regard moins pesant. Il causait parfois d'énormes surprises à son patron, la dernière en date étant qu'il maîtrisait le tricot (encore que ça, c'était plus un choc qu'une surprise), mais la plupart du temps c'étaient de petits détails qui faisaient tiquer Caleb. Des clins d'oeil à Chips. Le fait qu'il appelle l'animal "mon gros", comme le faisait le Techie. Cette esquisse d'humour, à l'instant, quand il avait failli se mettre au garde à vous. Ces attentions qu'il avait pour son orgueilleux patron à la jambe blessée. Oui, Rodrigue avait changé. En bien, ce qui aurait dû pousser le trafiquant à se réjouir.

Cependant, Caleb n'était guère à l'aise avec ce que son barman lui dévoilait. Il ne pouvait pas prétendre préférer l'homme froid et énigmatique qu'il avait embauché, mais... Eh bien oui, cette sollicitude toute neuve avait pour triste conséquence de rendre le Techie méfiant. On lui voulait du bien, ou tout du moins on agissait comme si on lui voulait du bien, et cela ne pouvait pas être gratuit. Forcément. Caleb ne pensait pas être de la même espèce que Zack, il n'était pas de ces gens auquel on a naturellement envie de donner un coup de main. Alors pourquoi, pourquoi Rodrigue agissait-il de la sorte? Qu'attendait-il? Etait-ce simplement un employé qui faisait du zèle, ou était-ce plus intime que cela?

Le Techie se mordilla pensivement la lèvre. En lui suggérant fortement de trouver un abri contre le blizzard, le barman avait fait son job. On pouvait même considérer que le fait d'approcher le cheval de son patron d'un marchepied faisait encore parti de sa tâche. Mais cette fausse excuse sur les courants d'air, ça, ça n'avait plus rien à voir. Le sourire que Rodrigue avait arboré à cet instant n'était pas hypocrite. Il était d'un désintérêt trompeur. Il avait volontairement fourni à Caleb un prétexte pour préserver son égo, et il l'avait fait avec une délicatesse sans équivoque. Une délicatesse qui évoquait bien davantage l'affection que le respect.

Et puis, Chips ne se serait pas conduit de la sorte avec un simple lèche-botte.

Caleb soupira, puis il secoua brièvement la tête: allez, trêve de bavardages, il fallait descendre de ce fichu canasson avant le retour des témoins - car il n'avait pas confié le reptomarsupial à Rodrigue (que) par simple esprit de contradiction: s'il avait laissé échapper le moindre cri dans sa manoeuvre sous le nez de Chips, ce dernier se serait aussitôt mit à glapir son inquiétude à un tel volume que le barman se serait rendu compte de la situation même s'il s'était trouvé à l'autre bout du labo. Quitte à être dans la merde, Caleb préférait que ce soit sans spectateurs.

Le Techie s'appuya sur sa jambe gauche, tira légèrement sur la hanche opposée. Le résultat lui tira une grimace: son genou était bloqué. Complètement coincé. Il ne parvenait ni à le plier davantage, ni à l'étendre complètement. Il essaya, brièvement, et il dut serrer les mâchoires à s'en faire grincer les dents pour contenir le hurlement qui lui venait: par tous les saints de la Nouvelle Eglise...

"Allez, allez... Un... deux... trois!"

Il bloqua sa respiration et rassembla tout le courage qu'il avait à sa disposition pour faire passer sa jambe par-dessus la croupe du cheval et poser le pied sur la table de cantine, qui s'avéra dangereusement branlante sous son poids. Un peu étourdi par l'accès de douleur, Caleb parvint néanmoins à s'appuyer suffisamment sur ses bras pour libérer l'autre botte et la poser à son tour sur le marchepied improvisé, le tout sans véritablement peser sur son mauvais genou. Aussi vite qu'il le pouvait, il s'assit tant bien que mal sur la table pour en descendre avant qu'elle ne cède, toujours en s'aidant de ses bras, et enfin il se retrouva debout sur le carrelage fissuré par le gel. Avec une longue expiration soulagée, il se baissa pour masser la base de sa cuisse: il avait l'impression qu'on avait remplacé ses os par des barres d'acier chauffées à blanc. Et encore, cette métaphore ne suffisait pas à rendre compte de ce qui dévorait sa jambe. Il y manquait, notamment, l'atroce sensation de déchirure qui parcourait toute sa cicatrice.

"Je hais le blizzard."

Le cheval bai piaffa, le tirant de ses mornes pensées. Caleb lui accorda une tape maladroite sur l'encolure, avant d'attraper ses rênes et celles du hongre de Rodrigue. Il jaugea un instant le poids de la vieille table de cantine et la solidité de ses pieds, avant de décider que cela suffirait à retenir les chevaux de manière temporaire. Il achevait d'y attacher les lanières de cuir lorsque Rodrigue revint.

Chips était toujours installé sur ses épaules. Un constat qui troubla Caleb presqu'autant que l'inquiétude (sincère?) du barman à son égard. Enfin, cette dernière était sûrement justifiée: le Techie ne pouvait pas se voir, mais il devinait sans peine qu'il avait une sale gueule.

"Ca va. J'ai mal à la jambe."

Une réponse nette, presque sèche, pour couper court à toute tentative de sympathie. Caleb se fit aussitôt la réflexion que c'était idiot, vu les circonstances: il n'avait peut-être pas envie que Rodrigue devienne trop amical, mais en l'occurrence, ils étaient tous les deux (trois) coincés dans ces ruines pour un délai indéterminé. Faire son misanthrope grincheux ne servirait qu'à empirer les choses.

"C'est bien, en tout cas. S'il y a de la place, on a qu'à emmener les chevaux, ça fera un peu de chaleur supplémentaire. Sinon, il faudra leur trouver une autre pièce: même dans ce coin de la salle, je crains qu'il n'y ait un peu trop de courants d'air pour qu'ils y passent la nuit."

Il esquissa un sourire goguenard, qu'il effaça aussitôt de son mieux: comme dit, ce n'était pas le moment d'envoyer paître Rodrigue et ses bonnes intentions.

"Et je pense que ces bancs feront un combustible tout trouvé pour le feu."

Il voulut faire un pas vers l'un d'eux pour en éprouver la sécheresse, mais il trébucha et ne se retint que de justesse à la table, les paupières et les dents serrées. Il n'était même plus question de boiter. Son genou refusait tout simplement de le soutenir. Caleb souffla longuement, puis il se redressa tant bien que mal, en faisant signe à Rodrigue que ça allait - alors que ça n'allait pas du tout. Il avait déjà souffert du froid depuis qu'il s'était pris cette balle dans la jambe, mais jamais à ce point-là. D'un autre côté, il ne s'était encore jamais trouvé sur le dos d'un cheval en plein blizzard; deux circonstances aggravantes qui avait eu raison de son entêtement à se débrouiller seul.

Le regard ostensiblement détourné de Rodrigue, Caleb marmonna à contrecoeur:

"Tu peux... m'aider à rejoindre la pièce en question? Je... je pense que je n'y arriverai pas tout seul."
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Rodrigue Llorandes

- Un dernier verre ? Mmh ? - Innocent perverti

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Signalement : Hume, la trentaine, carrure solide, 1m85, cheveux noirs, yeux bleu pervenche, cicatrice sous l'oeil gauche.


Kwi Rough Project Vide
MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime20.04.09 20:32

A l’instant même où sa question s’échappa comme par erreur de ses lèvres, Rodrigue regretta de ne pas avoir gardé le silence – il n’était pas un fervent adepte de ces tournures de rhétorique, même si elles avaient l’avantage de feindre l’ignorance. Caleb n’allait pas bien, cela se voyait, et le lui faire remarquer allait sans doute plus l’agacer que l’inciter à accepter de l’aide. Le Lespurien stoppa machinalement le cours de ses pensées, tiraillé par quelque chose qui pouvait s’apparenter à de l’embarras ; impression pour le moins incongrue, qui fut presque aussi balayée par la réplique sèche du patron. Rodrigue ne réagit pas, laissant seulement son regard pervenche s’attarder sur le visage de Caleb, délavé de toutes ses couleurs par des sueurs froides.

"C'est bien, en tout cas. S'il y a de la place, on a qu'à emmener les chevaux, ça fera un peu de chaleur supplémentaire. Sinon, il faudra leur trouver une autre pièce: même dans ce coin de la salle, je crains qu'il n'y ait un peu trop de courants d'air pour qu'ils y passent la nuit."

Le barman ne releva pas le sarcasme ; son regard avait de nouveau glissé vers la jambe raidie de Caleb, et épiait minutieusement le plus insignifiant de ses mouvements. Un frisson parcourut la fourrure de Chips sur ses épaules, et ce furtif froufrou de sa toison écarlate contre la nuque du Lespurien suffit à l’extirper de son observation. Il releva la tête, et gratta les bajoues du reptomarsupial comme pour lui assurer muettement qu’ils ne resteraient pas ici longtemps. Comparé par l’air relativement préservé de la réserve, cette cantine éventrée tenait effectivement d’une insupportable glacière.
Lorsque Caleb mentionna les bancs, son barman se dirigea lui aussi vers eux, presque par automatisme. Sauf que le Techie rata son premier pas, et manqua de peu de s’écrouler ; Rodrigue, interdit, se retourna vers son patron. Son regard s’assombrit progressivement tandis qu’il contemplait les tressaillements nerveux qui suppliciaient sa jambe, et qu’il constatait l’effort déployé par le trafiquant pour ne pas lâcher la moindre plainte de douleur.

« Patron…? »

Les mains qu’il avait élevées par réflexe retombèrent avec lenteur le long de son corps : il n’avait pas à intervenir si Caleb lui signifiait que « ça allait », n’est-ce pas ? Le Lespurien resta raide, comme pétrifié, et ce tout le temps qu’il fallut à Caleb pour se remettre plus ou moins de ses élancements. Le regarder se recomposer avait quelque chose de singulièrement malsain, à force d’être captivant. Mais Rodrigue savait ce sentiment creux ; le spectacle de cette souffrance ravalée par pur orgueil n’attisait par sa curiosité d’observateur du genre humain, non. C’était juste que ça, ça lui ressemblait. Ou que lui, il ressemblait à cela. Et ce point commun, aussi absurde fût-il, le réconfortait.
Enfin, le Techie marmonna sa demande. Avec une incontestable mauvaise grâce, mais au moins, elle était formulée. Ces quelques mots disloquèrent alors la fixité marmoréenne qui avait envahie son visage comme un masque de cire. Rodrigue cilla, acquiesça tout en demeurant silencieux – peut-être, pour ne pas faire l’injure au Techie d’un commentaire, aussi bienveillant fût-il.

Il lui suffit de faire deux enjambées pour se rapprocher de son patron. Il ne chercha pas à croiser son regard, et se contenta de verrouiller le sien sur les mains pâles de Caleb. Toujours sans piper mot, il fit glisser le bras droit du Techie par-dessus son épaule, posant sans insistance sa main libre sur sa taille. Chips couina et tapota avec la conviction l’épaule de Caleb, sur laquelle il s’était transféré d’un bond adroit au cours l’opération.

« Kwi pas chouchi, Chips s’occupe de Caleb ! »

Et le reptomarsupial de tenter avec sa personne une imitation d’écharpe en s’enroulant autour du cou de son maître, parce que, évidemment, c’était le froaaa-tout-froid qui faisait tomber Caleb – ça se comprenait, kwi sûr.

Rodrigue conduisit donc à pas lents son patron jusque dans le couloir incliné, où les lampes emprisonnées dans leur carcan de métal semblaient vaciller insensiblement. Le barman ne leur accorda qu’une très vague attention, mais cligna quelques fois des yeux comme pour s’assurer que ce n’était pas sa vision qui lui jouait des tours. Enfin, lorsqu’ils atteignirent la réserve, Chips sauta alors par-dessus l’épaule de Caleb dans un tonitruant « KWINZAÏ ! », et se jeta contre la porte (entrebâillée, certes) pour l’ouvrir tout à fait, et laisser ainsi champ libre aux deux humes.

« Merci, Chips. »

De toute évidence, le film sur les guerriers itinérants d’Adhenor l’avait marqué. Le reptomarsupial, assis sur son arrière train à l’intérieur de la pièce, secoua la tête et sembla s’y prendre à plusieurs fois avant de fixer correctement ses yeux verts sur son maître.

« Kwi-i-i… ! Nobjet dur a perdu, coup de Chips gagné ! Kwictoireuh… !» Chips

Rodrigue traversa la pièce, puis libéra son patron du support de ses bras pour le laisser s’asseoir avec une précaution nécessaire contre le mur incliné de la réserve. Le barman se redressa, et ressortit presque aussitôt de la pièce. Il lui restait à récupérer ce fameux bois pour le feu, et ramener les chevaux à l’abri – la pièce s’avérait finalement assez vaste pour les y accueillir sans gênes ; puisqu’il n’était plus question que Caleb se relève avant un bon moment, son sens très tatillon de l’ordre sembla lui conférer une vigueur renouvelée pas si différente de celle qui l’animait dans ses tâches au D-bar.
Il s’occupa dans un premier temps des bêtes, mais non sans quelques difficultés : l’obscurité du couloir, ou même la seule atmosphère sinistre des lieux suffisaient à les rendre nerveux. Rodrigue déploya toute son énergie à rassurer les deux chevaux en flattant leurs encolures et en leur parlant, et parvint à les faire entrer, apaisés, dans l’entrepôt. Avant de repartir en quête du bois de chauffage, il adressa un regard à Caleb et étira sensiblement la commissure de ses lèvres, même s’il était prêt à parier que le trafiquant d’armes n’était rigoureusement pas d’humeur à faire risette avec son barman.

Une fois revenu dans la cantine, il fit rapidement l’inspection des bancs flanqués aux murs. Certains semblaient avoir baigné longtemps dans la neige, mais il parvint à en un trouver un dont le vieux bois était convenablement sec. Il lui suffit de quelques coups de pieds pour rompe l’épaisse planche en autant de fragments qu’il était en mesure d’obtenir. Quelques minutes plus tard, il revint les bras chargés dans la pièce. Il laissa choir son fardeau au centre de la pièce, empila vaguement les débris pour former un foyer d’assez bonne taille pour leur feu.

« Patron ? »

Rodrigue s’était approché de Caleb, afin d'éteindre la lampe à huile et récupérer son petit réservoir. La lumière diminua graduellement, et ils se retrouvèrent bientôt dans l’obscurité. Sans gêne apparente, Rodrigue délogea le flacon empoussiéré contenant l’huile, et se dirigea de mémoire avec le centre de la pièce.

« Je me demandais si ces histoires de laboratoire hanté étaient vraies. Si elles étaient le fait de la magie. »

Le craquement sonore d’une allumette se fit entendre. Rodrigue tourna la tête vers le Techie, qui tenait le minuscule cierge de papier entre ses doigts, et la boîte dans l’autre. La flammèche vacillante éclaboussait d’ombres exaltées le visage de Caleb. Ses yeux semblaient dorés, à nouveau. Le Techie lui lança alors la boîte d’allumette à la volée. Le Lespurien la réceptionna tout en le en remerciant, et entreprit d’allumer le feu avec un minimum d’huile (s’ils devaient rester bloqués ici plusieurs jours, mieux valait rationner ce précieux combustible). Un soupçon de flamme s’éleva au-dessus des quelques débris de bois amoncelés, puis le feu pris progressivement de l’ampleur, et parvint à éclairer un peu mieux la pièce.
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Caleb Mancuso

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Caleb Mancuso

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Kwi Rough Project Vide
MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime21.04.09 0:18

Contre toute attente, le court et interminable trajet jusqu'à l'entrepôt découvert par Rodrigue ne fut pas aussi désagréable que prévu pour Caleb. Ce dernier s'était évidemment crispé de manière très perceptible lorsque son barman s'était approché de lui, mais cela n'avait pas duré: le Techie avait beau avoir une aversion pathologique pour le contact physique (surtout avec un sujet masculin, cela va sans dire), il devait bien avouer que s'appuyer sur le Lespurien soulageait énormément son genou hors-service. Et puis, Rodrigue lui avait bien facilité la tâche en s'abstenant du moindre commentaire et en ne cherchant pas à accrocher un regard que Caleb pointait résolument ailleurs. Alors le trafiquant d'armes n'était peut-être pas ravi de se faire traîner de la sorte comme un vieux grabataire, mais ce n'était pas aussi humiliant qu'il aurait pu le penser.

Sans compter que les louables efforts de Chips pour l'étrangler avec amûr le distrayaient assez efficacement de sa condition de boulet.

Ils passèrent la porte de l'ancienne cantine. Caleb observa en silence le couloir qui s'étendait devant lui, son sol raviné par le gel des hivers successifs, ses murs placés de guingois par il ne savait quelle faiblesse des fondations, et il décida que cet endroit ne lui plaisait pas. D'accord, il y faisait nettement moins froid que dans le réfectoire, sans parler de l'extérieur des ruines, mais l'air stagnant avait une odeur désagréable, aride, de poussière et de cendres. Comme si depuis que l'hume avait quitté ces lieux, aucun autre émissaire de la Nature n'avait osé en prendre possession. Dans ce couloir, le sensation était flagrante, peut-être même encore plus lorsqu'ils passèrent à côté de la première porte à droite - mais là Caleb se dit qu'il devait se faire des idées. Il y avait quelque chose d'oppressant dans cet endroit, c'était net, mais il ne fallait pas non plus exagérer: il avait sans doute l'esprit un peu floues à cause de sa jambe. Et puis, il n'avait jamais aimé le noir. Or dans ce couloir, lui, il ne voyait aucune lampe d'allumée: à ses yeux, les néons étaient tous brisés derrière leur protection grillagée.

Quant à savoir qui de lui ou Rodrigue voyait la réalité...

Ce fut à peu près à cet instant que l'encombrant animal qui envahissait ses épaules décida de jouer les guerriers sauvages: il poussa un kwinement suraigu qui fit faire un bon de frayeur à Caleb (en grande partie à cause de la petite dizaine de centimètres qui séparaient l'oreille gauche du Techie de la gueule de Chips lors de l'émission du sus-mentionné son) et jaillit vers la porte de l'entrepôt, qu'il percuta avec un BLONG sonore avant de rouler à l'intérieur de la pièce. Rodrigue le remercia avec un sérieux consommé, et Caleb leva les yeux au ciel:

"Je t'en prie, ne l'encourage pas à faire ce genre de conneries: déjà qu'il ne doit pas avoir beaucoup de neurones, s'il prend l'habitude de flanquer des coups de boules dans tout ce qui traîne..."

Le ton était un peu grincheux, mais indéniablement humoristique. Ce n'était sans doute pas sans lien avec la souffrance qui refluait doucement: depuis que Caleb ne s'appuyait plus du tout sur sa jambe droite, elle avait quitté le domaine de l'insupportable pour verser dans un plus sobre abominable.

"Oui oui, c'est bien Chips... Si tu es sage, Rodrigue te tricotera un katana quand on sera rentrés."

Le Techie sourit brièvement, avant que Rodrigue ne l'entraîne jusqu'au fond de la pièce pour l'aider à s'y asseoir. L'opération ne fut pas très plaisante, et lorsque Caleb put enfin étendre tant bien que mal sa jambe ankylosée, il dut également sortir son mouchoir pour s'essuyer le visage: même s'il faisait toujours assez froid pour que chacune de ses expirations produise un panache de vapeur d'eau, son front était couvert de sueur.

"Merci. Merci Rodrigue."

Il avait relevé la tête à la fin de sa phrase et échangé un bref regard avec le barman, avant que ce dernier ne s'éclipse pour aller chercher les chevaux. Caleb se passa une main dans la nuque, mal à l'aise. Merci, oui. Rodrigue méritait plus qu'un simple merci: c'était lui qui avait eu la présence d'esprit de s'arrêter, lui qui avait pensé au laboratoire, lui qui leur avait trouvé cet abri, lui qui y avait amené sans mot dire sa tête de mûle de patron handicapé, lui qui à présent courait de droite à gauche pour leur aménager un refuge digne de ce nom. Caleb lui en était véritablement reconnaissant, et peut-être qu'avec un autre de ses employés il aurait su l'exprimer. Mais le bilan de cette journée n'était-il pas tout simplement qu'il ne connaissait pratiquement pas Rodrigue?

Bah, fallait voir le bon côté des choses: c'était l'occasion ou jamais de rattraper son retard.

Un bruit de papier froissé détourna le Techie du massage appliqué de son genou au supplice et il découvrit que son reptomarsupial était en train de jouer avec un paquet vide de ses chips favoris. L'animal flanquait des coups de pattes à l'emballage en se déplaçant par petits bonds, dans la visible intention de passer le moins de temps possible en contact avec le sol. Mais ce ne fut pas cela qui tira un sourire songeur à Caleb: ce paquet de chips, il en possédait un identique dans sa propre poche. Il savait d'où il provenait.

"Chips? C'est Rodrigue qui t'a donné ça?"

"Kwiiii!"

"Il est gentil hein?"

"Kwi Rodrigue copain. Bon copain." ^^

"Oui... Tu as de la chance, on dirait qu'il te gâte presque plus que moi."

"Gâte? Gat, gat... gâto?" whahaha

"Euh non non, pas gâteau. Pas tout de suite en tout cas."

Chips émit un grognement déçu. Il flanqua un autre coup de patte dans le sachet de patates grillées, mais le coeur n'y était plus. Il s'assit sur son arrière-train et jeta un regard panoramique sur son nouvel environnement, avant de se décider à approcher de Caleb de sa démarche dandinante. Le Techie eut l'idée d'ouvrir son manteau, et l'animal accepta l'invitation avec un "kwi" statisfait: il grimpa sur la jambe valide de l'hume pour aller se rouler en boule contre son ventre, en enfouissant sa truffe sous la veste de Caleb en quête de chaleur. Un grognement béat parvint aux oreilles du trafiquant, qui ne put retenir un sourire tendre que personne n'était censé voir.

Personne, c'était Rodrigue, qui venait de revenir avec les chevaux. Caleb se renferma aussitôt, mais son employé lui adressa tout de même un fugitif rictus. Le Techie fit semblant de ne pas l'avoir vu et d'être plongé dans l'examen du pompon multicolore qui couronnait le bonnet de Chips.

Le barman repartit et Caleb voulut faire un nouvel essai pour mettre sa jambe bien à plat. L'effort lui arracha un léger cri, qu'il étouffa de son mieux: non, décidément ce n'était toujours pas le moment. Une pointe d'agacement saisit le Techie: Rodrigue courait partout et faisait tout le boulot pendant que lui restait coincé là, à glander comme un grand malade. Décidé à se rendre utile, Caleb tendit le bras pour attraper l'un des cartons explosés qui gisaient près de lui. Il le déplia sur le sol et sur le mur, en conservant une double épaisseur, puis il fit de même à environ un mètre du premier. Il se décala ensuite sur l'un des sièges ainsi improvisé, prudemment, pour ne pas se faire mal ou déloger Chips de sa nouvelle planque - indépendemment du côté mignon de la scène, l'animal faisait une bouillote tout à fait convenable.

Rodrigue revint avec le bois, qu'il entassa non loin d'eux en un foyer sommaire. Caleb était en train de se faire la réflexion qu'il était heureux que ce jeune homme sache faire du camping, lorsque le Lespurien fit quelque chose qui lui coûta presque toute l'estime que son patron lui avait accordé au cours des dernières minutes: il éteignit la lumière.

Le noir, un noir épais et total, sans la moindre lueur. Un noir qui rendait soudain cette salle plus vaste, plus glacée, antre à l'écart du monde dans lequel on n'entendait que les hurlements du blizzard, au-dehors, et les pas précautionneux de Rodrigue qui cherchait à retrouver le tas de bois. Un noir qui rampait, s'approchait, touchait, écrasait. Caleb sentit le sang se retirer de son visage, et sa main gauche se crispa sur l'échine de Chips. Il avait horreur du noir. Horreur. Façon détournée de dire que c'était l'une des rares choses qui lui faisait vraiment peur, peur à en gémir, peur à en hurler. Et l'autre abruti qui choisissait ce moment pour parler de labo hanté...

Du calme. Réfléchir. Réfléchir lentement, pour s'occuper l'esprit, ne pas laisser la peur l'envahir. Lentement, celle de ses mains qui ne se cramponnait pas à la fourrure rouge de son animal se posa à côté de sa cuisse pour chercher à tâtons ce qu'il savait devoir trouver là. Une seconde. Deux secondes. Un bruit de bois: Rodrigue avait retrouvé le foyer. Et sous les doigts gantés de Caleb, le parallélépipède rassurant d'une boîte d'allumettes.

Le Techie prit à peine le temps de se recomposer une expression avant de gratter la tête souffrée de l'un des bouts de bois: la lumière, faible mais immédiate, lui donna l'impression qu'on venait de lui ôter un reptomarsupial obèse de la poitrine. Il adressa un sourire à Rodrigue, un petit rictus gentiment moqueur:

"La prochaine fois, pense à repérer les allumettes avant d'éteindre la lumière, ça sera plus utile."

Il jeta la boîte au Lespurien, l'air détendu au possible. On ne pouvait déceler sa rancoeur honteuse que dans l'éclat assombri de ses iris, dorés par la flamme de son minuscule flambeau. Le regard de Caleb dévia vers l'allumette, et presque automatiquement il sortit son étui à cigarettes de sa poche intérieure: tant qu'il n'y pensait pas, ses Minotaurus auraient tout aussi bien pu ne pas exister, mais à présent il lui apparaissait indispensable d'en fumer une, là, tout de suite. Il en avait besoin. Il porta une cigarette à ses lèvres, l'alluma à ce qui restait du bâtonnet souffré, avant d'éteindre celui-ci d'un geste du poignet. Caleb inspira. Et il se sentit tout de suite mieux.

"Enfin, de toute façon, il nous reste deux briquets. Ah, je ne sais pas si tu as vu, j'ai mis des cartons par terre pour qu'on puisse s'y asseoir: je peux te dire que les fesses directement sur le béton, c'est pas génial question confort."

"Froaaaaa..."

"Oui Chips on sait, par terre c'est froid."

Le Techie attrapa alors un autre morceau de carton, plus petit que les autres. Il était occupé à le plier pour pouvoir le glisser sous son genou toujours bloqué dans sa position à demi-pliée, lorsque la remarque de Rodrigue lui revint à l'esprit:

"Pour ta question, j'avoue que je ne sais pas trop quoi te dire. Je ne sais pratiquement rien sur cet endroit: on dit qu'il est hanté, ou qu'il est sérieusement rough, ou les deux. De nombreuses personnes y ont vu des trucs bizarres, effrayants parfois, mais en même temps ceux qui traînent dans le coin sont souvent des gosses complètement stoned."

Il marqua une pause, le regard perdu dans la contemplation du feu de camp qui commençait à prendre de l'ampleur.

"Je ne pense pas que les morts se fassent chier à revenir faire peur aux vivants. Néanmoins, j'ai vu des trucs vraiment pas clairs dans ma vie à propos d'endroits roughs. En Adhenor, surtout. Tu peux y trouver des bâtiments déserts tellement imbibés de magie qu'ils en acquièrent presque une volonté propre. Et parfois il peuvent être méchants."

Caleb haussa les épaules, avant de lever sa main droite toujours gantée.

"De manière générale, il est conseillé de ne pas toucher les parois d'un endroit rough avec ta peau nue, surtout si tu es magicien: ça met l'énergie locale en rogne de rencontrer une magie étrangère sur son territoire. Je te parle même pas des humes roughs: en Adhenor, ils évitent carrément de mettre les pieds dans ce genre d'endroits. Alors je ne sais pas ce qu'il en est pour ce labo, mais dans le doute, je pense qu'on devrait toucher le moins de choses possible."

Et lui se garderait bien d'utiliser son pouvoir. Le Techie tourna la tête pour dévisager son voisin, avant de froncer imperceptiblement les sourcils: à présent que la température se réchauffait et que son genou était au repos, Caleb retrouvait son habituel sens de l'observation. Et quelque chose dans le visage monolithique de Rodrigue lui mettait soudain la puce à l'oreille.

"Pourquoi cette question? Tu as vu quelque chose?"
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Rodrigue Llorandes

- Un dernier verre ? Mmh ? - Innocent perverti

Rodrigue Llorandes

Signalement : Hume, la trentaine, carrure solide, 1m85, cheveux noirs, yeux bleu pervenche, cicatrice sous l'oeil gauche.


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MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime21.04.09 1:51

Rodrigue faisait mine de n’écouter que d’une oreille distraite les propos de son patron au sujet du laboratoire : son regard bleu persan demeura fixé sur les flammes craquelantes, ses yeux légèrement écarquillés. Il avait sous le coude une bonne dizaine de raisons concrètes d’exécrer profondément cet endroit, mais son sentiment le plus fort était aussi le plus irrationnel. Cet endroit…

« …Je te parle même pas des humes roughs: en Adhenor, ils évitent carrément de mettre les pieds dans ce genre d'endroits. »

Une volée d’escarbilles projetée par un craquement du bois sec sembla faire tressaillir Rodrigue. Les humes roughs, hum ? Ses mains gantées se frottèrent légèrement l’une contre l’autre, et il releva la tête vers Caleb en affectant son habituelle nonchalance. Parce qu’à présent, vraiment, viscéralement, il sentait que ce laboratoire était une monstrueuse antithèse prête à le broyer et à le renvoyer à une sorte de sauvagerie primaire. Il cilla, tout en s’efforçant de s’étonner sur l’admirable empreinte dorée que laissait la lumière sur les iris de Caleb – un détail, un petit rien salvateur auquel il se raccrochait. Et puis il y avait Chips, et les chevaux, pour lui rappeler qu’il ne se retrouvait pas – pas encore – en proie à une abstraction donc chaque centimètre carré de brique et de métal jurait son anéantissement prochain.


Cet endroit, bon sang…


« Pour être honnête… » fit-il sur un ton un tantinet moins calme qu’il ne le souhaitait, « je n’aime pas cet endroit. Vraiment pas. Il me met mal à l’aise. Pareil pour les chevaux, il me semble… »

Cet endroit, il…

Rodrigue se leva, incapable de rester en place plus longtemps. A force de ruminer ce qu’il avait vu – non, ce qu’il avait cru voir, entendre et sentir, il en venait à exagérer ses perceptions. Et il avait peur que ces choses n’ait déjà plus grand-chose à voir avec les caprices inoffensifs de son œil valide.
Le barman avisa ses mains avec dégoût. Il retira ses gants et les fourra dans ses poches avec une mauvaise humeur à peine dissimulée. Tant pis pour le froid, tant pis pour la magie rough. Ils sentaient l’iris de façon bien trop obscène. Le Lespurien se dirigea vers la porte de la réserve, restée béante comme un gouffre sur la noirceur du couloir. Il referma la porte lentement, pour ne pas faire grincer ses gonds. Avant de la refermer tout à fait, il jeta un dernier regard dans le couloir.




Une mince fente, un fin trait de lumière qui tombait sur cet œil violet, grand ouvert vers lui.




Cela ne dura pourtant qu’un dixième de seconde. Glacé jusqu’aux os par l’effroi, Rodrigue fit presque claquer la porte de fureur ; il refoula l’obscurité compacte du laboratoire derrière le panneau défraîchi de cette porte. Il resta quelques secondes muet, les bras ballants, à fixer la poignée parfaitement immobile.

Cet endroit…

Il se retourna lentement vers le Techie, et afficha un sourire gauche parfaitement maîtrisé.

« Pardon, j’ai été un peu brusque. »

Le barman prit le temps de caresser les têtes des chevaux passablement agités par le claquement de la porte. Il revint ensuite vers le fond de la pièce, là où se trouvait Caleb, et il s’installa sur le carton laissé à un respectueux mètre de son patron. Il hésita un bref instant, le regard fixé sur ses gants ; mais la répulsion était désormais trop grande, c’était déjà au prix d’un intense effort qu’il se retenait de jeter ces gants pestilentiels au feu. Il se rengorgea, passa une main dans ses cheveux et reprit, en jetant un coup d’œil à Caleb :

« Non. Je n’ai rien vu…(il prit une inspiration peu convaincue) Comme je suis borgne, il y a parfois des choses qui disparaissent et réapparaissent dans mon champ de vision. J’imagine que le contexte me rend plus nerveux. »

Rodrigue eut un rire bref, et pas vraiment joyeux. Non. Non. Il n’y avait pas que son œil, c’était la magie dans son sang, n’est-ce pas ? Il était un hume rough, et ce labo gorgé de magie ne voulait pas de lui. Et pourquoi ne disait-il pas vérité à Caleb ? Est-ce que cela importait, s’il était rough ? … Peut-être n’avait-il reprit la parole que pour tenter de se rassurer lui-même, finalement. Le barman ferma les yeux lentement et cala son crâne contre le dossier cartonné. Il lâcha un soupir discret.

« Je suis épuisé. »
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Caleb Mancuso

- Attachiant de service - Punching-ball adoré!

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Signalement : Hume Evolus d'environ trente ans, pas très grand (1m72) et peu épais en ce moment, cheveux châtains, yeux noisette, bel homme, vêtements de très belle facture, pas de cicatrice visible quand il est habillé à part une entaille en virgule sous l'oreille gauche


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MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime21.04.09 23:12

Rodrigue avoua qu'il n'aimait pas cet endroit et Caleb approuva d'un hochement de tête:

"Je crois qu'aucune d'entre nous n'est à l'aise, ici. Enfin, à part lui qui est content partout..."

Il désigna la masse de fourrure écarlate qui ronronnait/ronflait contre son ventre et sourit, avant de revenir rapidement à une expression plus neutre: Rodrigue ne paraissait pas apprécier sa tentative d'humour. Caleb en fut surpris (n'était-il pas irrésistible?), jusqu'à ce qu'il se rappelle son propre état d'esprit quelques minutes auparavant et que sa stupeur devienne un semblant de culpabilité. Dire que le barman avait fait tout son possible pour ne pas le vexer, lui, lorsqu'il avait mal et se sentait diminué de manière humiliante... Ce n'était sans doute pas la meilleure manière de le remercier que de faire le pitre alors qu'à son tour il demandait un peu d'air.

Rodrigue se leva pour aller fermer la porte. Caleb le suivit du regard, sans mot dire. C'était plutôt ironique, quand on y pensait: alors que lui-même commençait à reprendre du poil de la bête, le Lespurien semblait de plus en plus nerveux. Le Techie se tourna vers le feu et ôta ses gants à son tour pour approcher ses doigts gourds de la belle flamme jaune. La chaleur, violente et pénétrante dans cette ambiance glacée, était un délice presque douloureux pour son corps engourdi, notamment pour sa jambe qui commençait enfin à se décontracter. Difficile d'imaginer que son employé ne goûtait pas à cette...

BLAM!

Un claquement de porte comme un coup de feu, qui fit tressaillir Caleb et lui tira une exclamation indignée, mélange d'un peu de frayeur et de beaucoup de douleur - essayez de sursauter avec un genou démoli, qu'on rigole. Sans oublier le reptomarsupial qui avait bondit sur ses pattes en lui plantant les postérieures dans l'abdomen.

"Eh, Rodrigue! Préviens la prochaine fois, bon sang!"

"Pardon, j’ai été un peu brusque."

Caleb expira bruyamment tout en se passant les deux mains sur le visage: un peu brusque, mes aïeux... Ca ne se faisait pas de claquer les portes dans cette ambiance de maison hantée, enfin! Le Techie eut une furieuse envie de le faire remarquer à voix haute, mais il parvint à se retenir en découvrant l'expression de son barman. D'accord, Rodrigue n'appréciait vraiment pas ces ruines. Sans doute en avait-il fait abstraction pendant qu'il était occupé à courir partout pour aménager leur piètre campement, mais à présent qu'il n'avait plus rien à faire à part attendre...

Le Lespurien s'assit, invoqua son oeil mort en une vague excuse à laquelle lui-même ne semblait pas croire, et l'expression de Caleb passa de songeuse à carrément soucieuse: depuis qu'ils se trouvaient dans ces ruines, l'état de son compagnon d'infortune se dégradait à une vitesse impressionnante. Il faillit demander à Rodrigue si ça allait, mais cette fois il se rappela à temps à quel point cette question pouvait être énervante lorsque quelque chose n'allait pas. De toute évidence, c'était le cas pour le Lespurien. Sauf que Caleb ne parvenait pas vraiment à déterminer pourquoi, que tout ce qu'il avait à se mettre sous la dent pour justifier cet état était une remarque sur l'ambiance pesante de ce labo, et que cela lui semblait inexplicablement angoissant. Toutes ses théories fumeuses sur la claustrophobie et la manque d'activité ne parvenaient pas à éclipser cette sensation qui lui creusait l'estomac.

Alors Rodrigue pencha la tête en arrière, les yeux clos, pour laisser échapper un soupir fatigué. Bien sûr qu'il était épuisé, Caleb l'était aussi: il était près de dix heures du matin et ils auraient tous les deux se trouver sous leur couette, en train de ronfler comme des bienheureux. Le Techie haussa les épaules et répondit sans même y penser:

"Eh bien dors, alors."

Il y eut un moment de flottement, pendant lequel le trafiquant sembla analyser avec surprise cette idée si simple qu'elle en paraissait presque cynique. Puis il sourit et renchérit:

"Je monterai la garde pendant ce temps: j'ai peut-être une patte folle, mais rester assis ne m'empêche pas d'utiliser mon revolver. Alors tu n'as qu'à empiler deux ou trois cartons par terre et t'allonger un peu, au moins tu te reposeras. Et si tu t'endors, je te réveille dans deux heures, comme ça normalement tu n'auras pas eu le temps de rêver: tu ne feras même pas de cauchemar."

Oui, il s'y connaissait un peu en cycles du sommeil. Assez en tout cas pour savoir qu'on était censé rêver, et à fortiuri cauchemarder après plusieurs heures de sommeil, et pas comme lui qui se réveillait en hurlant au bout de quelques dizaines de minutes - ce qui, on s'en doute, n'était pas un constat rassurant. D'ailleurs, en parlant de réveil en sursaut... Caleb se risqua à glisser un peu de taquinerie dans son sourire:

"Je te serai juste reconnaissant de ne pas me sauter à la gorge à ton réveil, cette fois."

C'était honnête, comme marché. Il n'y avait pas de raison que Rodrigue le refuse. Surtout pas pour de mauvaises raisons.

"Allez Rodrigue, fais une pause. T'en fais pas pour moi, mon genou m'empêchera de piquer du nez. Et puis... je te dois bien ça."

C'était une gentillesse spontanée, et venant de Caleb, c'était aussi rare et précieux qu'une oasis en plein désert. Le Lespurien dut s'en rendre compte, au moins un petit peu, car il accepta finalement de s'installer pour faire la sieste. Satisfait, le Techie s'assura que son revolver était accessible et chargé, avant de se rejeter en arrière sur son dossier de carton: ne restait plus qu'à faire passer le temps.

Sauf que le temps ne se décidait pas à passer. Caleb eut beau se répéter les noms de tous ses indics, puis ceux de tous les contrats en cours, puis ceux de tous les Balayeurs auxquels il avait filé ces contrats... Rien à faire, les minutes paraissaient des heures. Il réapprovisionnait le feu de camp, qui n'en avait pas besoin. Il écoutait le hurlement du blizzard, sur le toit, en espérant y déceler une improbable accalmie. Il vidait les cartons à sa portée, à la recherche de quelque chose d'utile, et triturait les emballages pour les déchirer en minuscules lambeaux ou y sculpter une ribambelle de Chips façon cubisme. Il réfléchissait, aussi, il pensait à ce laboratoire étrange, aux lieux rough qui n'aimaient pas les humes, à ce couloir sombre et à la porte la plus proche du réfectoire, celle à travers laquelle semblait transpirer une terrible menace. Il se passa ainsi une demi-heure, une heure, et soudain il réalisa que tout le monde dormait sauf lui, même les chevaux.

Ce fut à cet instant, en s'allongeant sur le côté pour atteindre et ouvrir un énième carton, qu'il aperçut l'étagère renversée à quelques mètres de là. L'un des pieds métalliques avait été arraché dans la chute avec un morceau de l'étagère en métal qu'il soutenait. Caleb l'observa un instant, avec une attention que personne d'autre n'aurait dû apporter à un débris aussi banal. Puis il baissa les yeux vers Chips, à présent lové contre sa cuisse valide. Il l'appela doucement, en le grattant derrière les oreilles de manière insistante. L'animal frémit et grogna, avant de lever vers l'hume le regard incroyablement expressif qu'il avait lorsqu'on le sollicitait pendant sa sieste.

"Chips? Tu veux aller dormir avec Rodrigue?"

Le reptomarsupial bâilla et ne se donna pas la peine de répondre, mais il tourna tout de même la tête vers le Lespurien assoupi. Avec une lenteur ensommeillée, il accepta de se hisser sur ses pattes pour progresser d'une démarche chaloupée jusqu'à la silhouette du barman, avant de se vautrer de tout son long contre le flanc de Rodrigue, de baisser son bonnet sur ses yeux dorés et de replonger dans le pays des merveilles sous acide qui lui servait de monde onirique. Caleb prit quelques secondes pour les regarder dormir, et il se fit à nouveau la réflexion qu'il était troublant de pouvoir dévisager Rodrigue sans avoir à affronter son regard violet. Il en avait l'air tellement plus doux, tellement plus... c'était un peu ridicule à dire en parlant d'un Lespurien de trente ans et plutôt bien bâti, mais... et bien oui, fragile. Une minuscule fragilité, qui aux yeux de Caleb ressortait sans raison apparente dans cette cicatrice assombrie par la lumière mouvante du feu de camp. Un court instant, le Techie se sentit mal à l'aise à l'idée de le laisse seul alors qu'il lui avait promis de ne pas le faire.

Un court instant.

Puis il se dit qu'après tout Rodrigue était un grand garçon et qu'il avait toujours ses couteaux. De toute façon, Caleb ne comptait pas aller bien loin. Alors il referma son manteau et renfila ses gants et sa chapka avant de s'allonger à plat ventre. Il fit deux mètres en rampant, avant de pouvoir se saisir du bout de métal arraché: il était un peu petit, mais il ferait l'affaire. Il enveloppa rapidement l'extrémité qui comportait le morceau d'étagère dans des lambeaux de carton issus de ses jeux de patience, avant de se hisser sur son genou fonctionnel. Prudemment, il essaya de plier l'autre. L'articulation était toujours ankylosée, mais la douleur y était nettement moins insupportable. C'était tout ce qu'il fallait à Caleb pour confirmer sa décision: il s'appuya sur le mur de la main gauche, sur le pied de l'étagère de la droite, et d'une traction il se hissa sur sa jambe valide.

Le Techie resta sur place un moment, pour trouver son équilibre. Il cala le fragment de métal sous son aisselle droite, éprouva la solidité de cette béquille de fortune. Puis il adressa un dernier regard à Rodrigue et Chips, avant de quitter la pièce le plus silencieusement possible - il fit attention à ne pas faire grincer la porte en la passant. L'air glacé du couloir eut l'effet d'une gifle sur son visage rendu brûlant par le feu et lui donna une furieuse envie de faire demi-tour, mais quand monsieur Mancuso s'était mis quelque chose en tête, fût-ce une monstrueuse connerie, il allait jusqu'au bout.

Et là, il avait envie de savoir ce que cachait cette fameuse porte près du réfectoire.
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Rodrigue Llorandes

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Rodrigue Llorandes

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MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime22.04.09 1:51

Dormir ?

Cette suggestion lancée de but en blanc par son patron fit sourciller Rodrigue. Ses paupières se relevèrent, et son regard se fit oblique et empreint d’une incrédulité patente. Dormir, ici, maintenant ? Caleb reprit la parole en lui assurant sous divers angles de vue qu’il n’avait aucune raison de s’en priver, puisqu’il se disait fatigué. Rodrigue jeta un coup d’œil au Techie, un peu dérouté par la bienveillance inattendue qu’il instillait dans ses propos. L’allusion à sa sieste inopinée dans le D-bar ne dérida pas son visage ; non pas qu’il fût d’humeur trop nerveuse pour manifester une once d’autodérision, il était plutôt occupé à dévisager pensivement son patron. Ces yeux d’or en fusion semblaient sincères. Ça aussi, c’était passablement déconcertant, mais moins que son évocation des cauchemars. A ce mot, il sentit ses entrailles frémir d’autre chose que de froid, et il inclina légèrement la tête pour affecter une soudaine et profonde admiration pour le foyer qu’il avait allumé. Si à l’état d’éveil il déraillait suffisamment pour apercevoir l’artefact maudit du sang Mendès dans les ténèbres, que devait-il redouter de son sommeil ?

Le barman avisa le feu encore un bref instant, songeur, puis la légère inclinaison de ses épaules sembla indiquer un acte de reddition. Tant pis. Il se sentait trop épuisé pour refuser l’offre généreuse de son patron, et de toute façon, il n’était déjà que trop coutumier de ces chimères sanguinolentes. Peut-être que reposer ses yeux lui épargnerait d’autres frayeurs à l’avenir.
La mine passablement maussade, il suivit les conseils du trafiquant d’armes et se composa une couche de fortune, sur laquelle il s’allongea avec raideur. Couché sur le côté, et le bras replié sous sa tempe, il observa un instant le profil du Techie, suivit les volutes grisâtres de sa Minotaurus avant de refermer lentement les yeux. Le noir. Il prêta l’oreille aux craquements répétés du feu, à son ronflement, aux respirations soufflantes des chevaux de l’autre côté de la pièce, à celle plus insolite de Chips blottit contre Caleb. Et cet ensemble pourtant réconfortant se dégrada progressivement, l’enfouissant dans la glaise noire et étouffante du silence tandis que ses membres s’alourdissaient, qu’il se sentait à peine la force de remuer l’extrémité de ses doigts. Comme à chaque fois, il avait envie de crier à l’aide, d’implorer la clémence de ce démon appesanti sur sa poitrine.
Comme à chaque fois qu’il s’endormait, c’était un peu la mort qu’il était conscient d’embrasser du bout des lèvres.







L’iris. Ce parfum d’iris était le même que celui de Maman, quand elle était joyeuse et qu’elle remettait du rouge sur ses lèvres.

C’était un souvenir, pas un rêve.

Elle était allongée sur son lit, comme souvent, et caressait rêveusement du bout des doigts la texture douce de sa robe fleurie. Rodrigue était là, assis en tailleur. Il lisait un contre illustré d’aquarelles mélancoliques. « L’oiseau bleu », c’était ça le titre.

« Rodrigue… Tu veux jouer à un jeu ? »

Il refermait docilement le livre, s’approchait de sa mère qui lui avait ouvert les bras avec tendresse. Elle lui caressait les cheveux, laissait un peu de rouge sur sa joue, un peu au coin des lèvres. Elle murmurait.

« Tu étais tellement gentil, comme bébé. Adorable, si sage…tu veux bien jouer au bébé, mon amour ? »

Un nouveau jeu ? Rodrigue acquiesçait candidement. Il se blottissait en position fœtale contre son ventre, contre la soie parme de sa robe, et il fermait les yeux, et il se taisait. Car un bébé ne parlait pas, ne protestait pas ; et lui ne pleurait jamais, quand il était bébé. Il aimait sa mère, dépendait entièrement d’elle et ne vivait que par elle, comme un bébé. Elle s’arcboutait légèrement, riante, et caressait son dos comme elle aurait caressé son ventre rebondi de future mère.

« Là, là…mon adoré. Je t’appellerai Rodrigue, c’est un beau prénom. Un nom de chevalier, un seigneur plein d’amour. Mon chéri, mon bébé… »

Touché par toutes ces marques d’affection, Rodrigue relevait la tête, et souriait. Sa mère continuait de parler, de plus en plus rêveuse, de plus en plus réjouie ; elle déboutonnait tranquillement son corsage, pour continuer le jeu.









Deux yeux violets, grands ouverts, incandescents. Rodrigue avait juste ouvert les yeux, et endurait sans un souffle la souffrance d’un étau de glace au creux de son ventre, l’horreur en surimpression bigarrée sur sa rétine. L’air pénétra enfin, non sans effort, dans sa poitrine. Respire. Tout va bien. Ils sont morts.

Le Lespurien sentit sous ses doigts la fourrure douce de Chips, il abaissa son regard pour constater la présence effective du reptomarsupial endormi contre lui, son bonnet rabattu sur ses yeux. Il faillit sourire, mais ce ne fut qu’un rictus déformé par un effroi encore écrasant qui étira ses lèvres. Il s’en rendait compte seulement maintenant : cela faisait des années qu’il n’avait pas rêvé de sa mère. Ce souvenir lui était pourtant revenu avec la violence d’un coup de poing en pleine figure. Ce parfum, c’était à cause de ce damné parfum…
Ce ne fut que lorsqu’il releva la tête qu’il se rendit compte que Caleb n’était plus là. Ses yeux s’arrondirent de stupeur, et il fouilla du regard la pièce. Il n’était nulle part. Et la porte était béante, goguenarde, ouverte comme un sourire carnassier sur ce couloir aux lumières fantômes.
Rodrigue la fixa, hébété. Il se redressa sur un coude, repoussa délicatement Chips de côté pour ne pas déranger son sommeil. Caleb était sortit ? Comment, avec sa jambe boiteuse ? Le barman fut en un clin d’œil sur ses pieds, électrisé par un mauvais pressentiment. Ça n’allait pas. Ça n’allait vraiment pas. Outre le fait qu’il se sentait sourdement humilié d’avoir osé croire qu’il pourrait se réveiller sous le regard rassurant de Caleb, il enrageait presque de sentir monter en lui une inquiétude mugissante. D’accord, cet endroit le terrifiait sans doute plus que de raison ; d’accord, il était sans doute exagéré d’imaginer que Caleb était nécessairement en danger, quelque soit l’endroit où il avait choisi de se rendre.

« Patron ? »

Il interpella suspicieusement le silence du couloir. Chips, à ses pieds, se roula sur le dos en écartant les pattes en étoiles, et marmonna quelque chose à propos d’un katana de chevalier. Rodrigue fronça les sourcils, sans lâcher des yeux le rectangle noir et suffoquant de la porte, comme s’il avait peut d’y apercevoir une nouvelle fois ce putain d’œil violet. Il n’aimait pas se sentir comme ça – comme une proie en cage qui prenait peu à peu conscience de sa situation.

N’en pouvant plus, il ravala l’angoisse qui bloquait ses articulations et traversa la pièce en quelques foulées nerveuses. Le couloir le happa, il referma la porte pour éviter que Chips n’ait l’idée de le suivre. Les néons pulsaient sur les murs, comme une mise en garde, ou comme le battement d’un cœur.

« Patron ! »

Il regarda à gauche, vers le reste du couloir qu’il n’avait pas exploré. Des gravats encombraient le passage, sans le condamner tout à fait ; mais il était impossible que Caleb ait pu le traverser, étant donné son état. Son regard se tourna alors vers la cantine, et les deux autres portes verr… Attendez.

Les yeux de Rodrigue s’écarquillèrent une nouvelle fois, et eut instinctivement recours à une injure particulièrement corsée du jargon lespurien qui fila entre ses lèvres. Pitié, non. Pas cette porte. Elle était ouverte. Forcée, et ses ténèbres exhalaient un fumet de mystère meurtrier. Et bien sûr, cela ne lui disait vraiment – vraiment rien qui vaille. Il ne s’accorda qu’une furtive demi-seconde d’immobilité, qui lui parut suffisamment longue pour qu’il se demande pourquoi il prenait à cœur la sécurité de Caleb avec autant de naturel, et, entre autre, ce qu’il avait fait à l’Etat pour mériter une telle décharge d’anxiété supplémentaire. Ce qui ne l’empêcha pas de s’élancer vers la porte, le cœur battant.

« CALEB ! »
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Caleb Mancuso

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Caleb Mancuso

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MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime23.04.09 23:41

Caleb avait remonté le couloir d'un pas lent, en s'appuyant avec précaution sur sa béquille improvisée. Il observait ces drôles de murs penchés, les portes des salles dédaignées par Rodrigue, l'ancien réfectoire faiblement éclairé par le peu de lumière qui s'insinuait à travers le blizzard. Il trouvait ces ruines... intriguantes. Inquiétantes aussi, bien sûr. Mais allez savoir pourquoi, il ne se sentait pas oppressé comme son employé paraissait l'être. Il était simplement mal à l'aise. Et curieux, comme il avait toujours été curieux de la magie et du rough, un goût du bizarre qui lui était venu lors de son passage en Adhenor. Il fallait se montrer prudent avec ce genre de choses, mais en même temps les sources roughs étaient tellement fascinantes... et accessoirement tellement précieuses...

Il s'arrêta devant la porte la plus proche de la cantine et l'examina un instant. Un vieux battant de bois, comme celui de l'entrepôt où ils avaient trouvé refuge. Une grosse serrure en cuivre, bleuie par les intempéries. Rien de très impressionnant, si l'on excluait ce malaise légèrement plus présent, cette sensation dérangeante qu'il y avait quelque chose derrière cette porte, quelque chose de... pas de vivant, mais... d'organique. Mélange d'animal sauvage et d'énergie néfaste. Caleb retint un frisson, d'angoisse et d'excitation. Il avança celle de ses mains qui ne maintenait pas sa béquille en place. Ses doigts gantés se posèrent sur le bois lisse et froid, sans provoquer quoi que ce fût. Il appuya sur le battant, puis se saisit de la clenche. Ni l'un ni l'autre ne frémirent d'un millimètre.

Les épaules du Techie s'affaissèrent sensiblement et il laissa échapper un soupir déçu: évidemment, cela aurait été trop simple... Un courant d'air glacial s'engouffra avec un sifflement dans le couloir et Caleb releva son col en jetant instinctivement un coup d'oeil vers l'abri (vaguement) chauffé qu'il venait de quitter. Ah merde, il avait mal refermé la porte: elle s'était rouverte derrière-lui et il y avait fort à parier que la petite salle ne serait bientôt plus si chaude que cela. Il fallait qu'il y retourne. Et puis il avait promis de réveiller Rodrigue au bout de deux heures, sans compter que si son garde du corps ouvrait les yeux pour découvrir l'absence de celui qu'il mettait tant de zèle à protéger, cela risquait de plomber l'ambiance.

Bah, tant pis, de toute façon cette porte n'était qu'un simple passe-temps. Néanmoins, avant de rebrousser chemin, Caleb eut l'impulsion de peser une nouvelle fois sur la clenche. Un acquis de conscience qui déclencha un grincement inattendu dans la serrure. Le Techie cligna des yeux, surpris. Décidé à en avoir le coeur net, il appuya de plus belle, tout en flanquant un modeste coup d'épaule dans le battant. Et pour sa plus grande stupeur, la porte céda d'un seul coup. Entraîné par son propre élan, Caleb vacilla une seconde sur sa jambe valide, perdit l'équilibre, tenta de se rattraper sur son autre jambe, se rata, esquissa un pas de danse contemporaine du plus bel effet avant de finalement faire un plat magistral sur le sol gelé.

On vous épargnera la bordée de jurons issus de tous les continents qui s'en suivit.

Noyé dans le nuage de poussière soulevé par sa chute, sa chapka tombant sur ses yeux, Caleb se hissa sur les coudes en insultant les divinités qu'il avait manqué lors de sa première salve. Evidemment, il avait laissé échapper son ersatz de béquille. Ok, il avait compris: il allait se relever, sortir de cette pièce de merde, réveiller Rodrigue d'un bon coup de pied aux fesses et ils allaient immédiatement rentrer à Secaria, blizzard ou pas! En espérant que sa canne de métal n'avait pas valsé trop loin, Caleb arracha avec humeur son envahissant couvre-chef. Et instantanément, il oublia tout de son splendide projet de se mettre en sécurité.

La pièce était plongée dans l'obscurité. Aucun moyen de déterminer ses dimensions; tout ce qu'il pouvait dire, c'était que le peu de lumière qui passait la porte projetait sur le sol un rectangle blâfard aux contours flous qui n'allait même pas jusqu'au mur d'en face. Mais il était déjà bien assez grand pour buter sur ce qui avait attiré l'oeil de Caleb, ce que ce dernier fixait toujours en se relevant tant bien que mal et en s'approchant d'une démarche claudicante. C'était noir, en forme d'arc de cercle, ou peut-être de cercle tout court - le Techie n'en distinguait qu'un fragment. C'était comme tracé sur le sol, légèrement en relief. Avec une texture granuleuse. Jugulant la douleur qui grinçait dans son genou malmené, Caleb se baissa jusqu'à poser ce dernier à terre; oui, c'était bien de la poudre, un cercle tracé avec de la poudre. Il eut l'impulsion de sortir son briquet pour l'examiner de plus près, mais il se retint: ce qui ressemblait à de la cendre pouvait aussi fort bien être de la poudre noire, et il n'était pas pressé de finir en torche hume.

Caleb fixait l'étrange tracé, et il se laissait envahir par l'étrange sensation de peur et d'envie qui en émanait. Sans trop savoir ce qu'il faisait, il sortit son mouchoir de sa poche et le déposa près du cercle. Puis il y poussa un peu de poudre d'un geste précautionneux de son index ganté, en prenant bien garde de ne pas briser la continuité de la figure, avant de refermer le carré de tissu d'une vrille et d'un noeud simple. Il rempocha le tout, sans cesser de se demander pourquoi ce cercle lui paraissait si important, si impressionnant, pourquoi cela lui évoquait un dragon endormi et

    ses yeux verts ses prunelles vert émeraude avec leur pupille verticale au-dessus de sa bouche hérissée de crocs de dents taillées en pointes qu'on voyait parce qu'il souriait oui il souriait parce qu'il allait faire ce pour quoi il était conçu il allait déchirer ce regard plonger mordre arracher extraire cette âme comme un loup éviscère un cerf et le ramener derrière ses yeux verts oh oui Mancuso vient faire un tour dans l'antichambre des Enfers viens comprendre ce que ça veut dire être seul tout seul pour toujours avoir mal avoir tellement oh tellement mal tellement tellement


"CALEB!"

Le trafiquant laissa échapper un cri et sursauta assez violemment pour que son genou blessé se dérobe sous lui et qu'il retourne embrasser la poussière. Sonné, tremblant comme si on venait de l'arracher à un cauchemar particulièrement atroce et fascinant, il tourna la tête vers la porte, entendit la course de Rodrigue qui se précipitait vers cette pièce que lui avait tout de suite étiqueté comme dangereuse. Et Caleb sut ce qui allait arriver avant même que cela se produise.

"ATTENTION!"

Il entrevit son barman, qui s'arrêtait en dérapant devant la porte. Rodrigue eut le temps de tendre le bras vers lui. Puis la porte lui claqua au visage, avec une effroyable détonation qui fit tomber de la poussière de plâtre du plafond.

Et Caleb se retrouva dans le noir.

"Rodrigue! RODRIGUE!"

Il avait voulu appeler le Lespurien pour savoir s'il allait bien, si la porte ne l'avait pas heurté, mais son interpellation était devenue un cri qui frisait dangereusement la panique. Caleb n'était plus du tout curieux à présent, oh non plus du tout. Il était enfermé, enfermé dans le noir, parce qu'évidemment la porte ne s'ouvrirait plus, n'est-ce pas, on ne peut pas forcer une porte fermée par magie, d'autant plus si Rodrigue se l'était prise en pleine face et qu'il gisait là-dehors, blessé, inconscient, mort peut-être...

A ses pieds, le cercle luisait d'une fantômatique lueur verte.

Caleb ramena vivement ses jambes à lui, comme si la sinistre figure pouvait l'attraper par les chevilles et le tirer à elle, jusqu'en son centre qui paraissait soudain plus noir que le noir, et il se releva avec une célérité remarquable avant de s'éloigner en titubant. Le cercle sembla briller plus fort et le Techie entendit un gémissement s'élever dans le noir. Son gémissement. Il ne pouvait pas être coincé là-dedans, pas comme ça, oh non pitié pas dans cette obscurité où il lui semblait déjà deviner des choses qui rampaient, des yeux sans pupilles qui s'ouvraient, des...

*Par l'Etat, ton briquet, abruti!*

Le Techie laissa échapper un hoquet stupéfait, et sa main plongea dans sa poche de manteau pour y piocher le précieux objet de métal. Il essaya de l'allumer, n'y parvint pas de ses doigts tremblants, arracha son gant droit, réessaya. Enfin la flamme bleutée s'éleva devant son visage, repoussant les ténèbres de manière presque physique, éclipsant la teinte glauque du cercle de cendres, et Caleb se rendit compte seulement à cet instant qu'il haletait et que son dos était parcouru de filets de sueur glacée. Mais cela allait, à présent. Il avait de la lumière, ça ne pouvait qu'aller. Il allait sortir de là, il trouverait forcément un moyen.

Avant que le réservoir de son briquet ne soit vide.

"Rodrigue?"

Le Techie se retourna et alla se coller à la porte pour parler contre le battant, en espérant que sa voix n'était pas aussi vacillante qu'il en avait l'impression.

"Rodrigue, tu m'entends? Ca va? Faut que tu m'aides à sortir de là, je..."

Silence. Caleb baissa lentement les yeux: la porte ne comportait pas de poignée de son côté. Quel genre de pièce pouvait-on souhaiter ouvrir seulement de l'extérieur?...

"Rodrigue, tu m'entends?!"
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Rodrigue Llorandes

- Un dernier verre ? Mmh ? - Innocent perverti

Rodrigue Llorandes

Signalement : Hume, la trentaine, carrure solide, 1m85, cheveux noirs, yeux bleu pervenche, cicatrice sous l'oeil gauche.


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MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime24.04.09 23:34

C’était froid.

Il avait senti, tandis qu’il se précipitait vers cette maudite porte ouverte, le froid l’envahir. Pas simplement parce qu’il avait quitté la pièce relativement réchauffée qu’ils occupaient ; non. Il y avait dans l’air, de façon presque physique, cette impression, qui suintait insidieusement des barrières qu’il avait levées contre son don, pour glacer sa poitrine. Un froid mortel qui n’alimentait qu’un peu plus son anxiété vis-à-vis de Caleb.

C’était tellement froid.

Ça sentait l’iris – non, ça sentait la mort, cette espèce de négation ultime ; il connaissait bien cette fragrance d’ordinaire si délicate… mais là, l’odeur le faisait presque suffoquer.

Le prénom de Caleb encore au bout des lèvres, il arriva devant la porte, freina brusquement. Il releva la tête, tourna son regard vers l’intérieur –vers la masse noire et dense de l’obscurité. L’espace de cette infime seconde, tandis que son œil violet était incendié, oppressé par la masse mugissante de l’intérieur, il entendit la voix de Caleb lui crier « attention ». Et il vit le trafiquant d’arme, avalé par le noir, tendre son bras vers lui. Il n’eut pas le temps d’être soulagé de le savoir en vie. La porte se referma brusquement, seule, dans un claquement assourdissant.



Rodrigue était tombé, sans trop savoir pourquoi.
Il avait juste constaté que son regard s’était offert la perspective dansante et incongrue du plafond du corridor ; et l’arrière de son crâne avait heurté, comme par erreur, mais avec beaucoup de conviction, le mur opposé.
Il avait été repoussé, sans trop savoir comment.
La porte ne l’avait pas heurtée, il avait juste senti le souffle glacial embrasser son visage, le mugissement de la porte tonner comme un « NON » ferreux à ses oreilles. Le visage de Caleb s’était effacé de sa vue. Et il avait paniqué – peut-être. Et il était tombé, frappé en pleine tête par un harpon de foudre.

"Rodrigue, tu m'entends? Ca va? Faut que tu m'aides à sortir de là, je..."

Le Lespurien cilla. Il reprit plus ou moins ses esprits, et focalisa laborieusement son œil incandescent sur la poignée de la porte. Mais c’était comme si cette image fixe se calcinait, mordillée par des millions de points blancs. Il était allongé dans le couloir, les épaules inconfortablement calées contre le mur incliné. La voix de Caleb était faible, il l’entendait à peine de là où il était. Comme les voix des fantômes qui l’accompagnaient, tiens…

"Rodrigue, tu m'entends?!"

Un souffle étrange s’échappa des lèvres du barman, qui ne cessait de fixer la porte avec l’impression grandissante qu’il cauchemardait encore. La voix de Caleb…Si faible, étiolée, mal assurée – était-ce vraiment lui ? Il frissonna. Son corps refusait de bouger, comme si ce froid avait vampirisé toutes ses forces.

« Caleb… »



Je t’appellerai Rodrigue, c’est un beau prénom. Un nom de chevalier, un seigneur plein d’amour.



Son souffle se bloqua dans sa gorge, et son appel ne fut qu’un murmure livide. Il ouvrit légèrement la bouche, cherchant l’air qui ne voulait plus pénétrer ses poumons. L’iris, bon sang, l’iris l’étouffait…Pourquoi ce maudit Rufus avait-il inondé ses mains blanches de ce parfum de cadavre …?

Rodrigue se releva. Plus par automatisme –plus en rêvant- que par réelle volonté. Il s’était cogné assez rudement ; sa tête s’offrait une sorte de manège kaléidoscopique des plus troublants, fondant devant son regard absent l’image de la robe à fleurs roulée en boule sur le lit, la main de Caleb qui était apparue comme une étoile blafarde au milieu de cette nuit infernale, le regard gris pâle de Rufus, et le ciel enneigé de Messidor.
Il ferma les yeux, tâcha de se concentrer. Il fallait sortir Caleb de là. Oui, c’était ce qu’il fallait faire. Le ramener à la réserve. Sinon Chips s’inquiéterait. Ils dormiraient, en attendant la fin du blizzard. Paisiblement.

Ses mains nues, un peu tremblantes, se posèrent sur le bois glacé de la porte. Il avait approché son front, et glissa presque sa tempe baignée de sueurs froides contre le panneau en murmurant tout contre lui :

« Ca…leb. »

Il aurait souhaité lui dire qu’il se sentait affreusement mal. Qu’il avait peur, aussi. Mais qui était Caleb pour écouter et comprendre ce qu’il ressentait ? …L’homme piégé dans le noir affamé. L’homme qu’il…devait sortir de là.

« Caleb, ça va ? »

Sa voix avait enfin repris un minimum de vigueur. Rodrigue déglutit faiblement, reposa son regard brouillé sur la poignée de la porte. Porter à nouveau la main sur elle l’écœurait. Mais il laissa glisser son bras vers elle avec l’aversion prudente de celui qui doit se saisir d’un serpent. Ses doigts s’enroulèrent autour de la poignée. Il appuya, mais la clenche refusa net de s’actionner. Son souffle se tarit ; il ferma les yeux comme si retenter l’expérience lui coûtait autant que plonger sa main dans un bain d’acide. Il appuya plus fort, presque violemment. Mais rien n’y fit. Et les points blancs rejaillirent au coin de son œil, goguenards.

« Je n’y arrive pas. La poignée est bloquée… »

Comme lorsqu’il avait tenté d’inspecter la pièce pour la première fois. Comment Caleb avait-il réussit à passer cette porte, d’ailleurs ? Rodrigue fronça les sourcils, les paupières abaissées. Sa tempe pulsait lourdement contre le bois hostile de la porte. Il ressentait instinctivement la présence immédiate du Techie de l’autre côté, il entendait même son souffle, trop sonore pour être rassurant. Il tâcha de recouvrir un peu de son flegme habituel, et lança d’une voix malgré tout blanche d’anxiété difficilement ravalée :

« Patron, quand vous serez sorti de là… vous m’autoriserez à vous engueuler ? »
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Caleb Mancuso

- Attachiant de service - Punching-ball adoré!

Caleb Mancuso

Signalement : Hume Evolus d'environ trente ans, pas très grand (1m72) et peu épais en ce moment, cheveux châtains, yeux noisette, bel homme, vêtements de très belle facture, pas de cicatrice visible quand il est habillé à part une entaille en virgule sous l'oreille gauche


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MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime25.04.09 22:33

Rodrigue ne répondait pas. Caleb l'appela encore une fois, d'une voix interrogative que l'appréhension affaiblissait jusqu'au murmure. Il tenta de déglutir, mais sa bouche était sèche à en être douloureuse. Depuis que la porte s'était fermée, il avait l'impression d'être enfermé dans un caveau tant il faisait froid, tant ces murs anormalement épais étouffaient la moindre lueur, le moindre son. Il ne percevait même plus le hurlement du blizzard, qui frappait pourtant le toit de plein fouet. Ne restaient que la sonorité intime de son coeur affolé et de sa respiration trop rapide, souffle erratique qui faisait vaciller la flamme du briquet qu'il tenait près de son visage pour bénéficier du mince réconfort que lui apportait la chaleur de la petite flamme jaune et bleue.

Caleb avait peur du noir. Il aurait préféré crever que de l'avouer à qui que ce fût (l'un des trafiquants d'armes les mieux côtés de la planète, flipper pour des histoires de grand méchant monstre comme un gosse de cinq ans?...), mais c'était un fait: à chaque fois qu'il se retrouvait dans le noir total, il se mettait à trembler, il se couvrait de sueurs froides et petit à petit la panique émergeait au creux de son estomac, remontait en lui serrant la poitrine, venait étrangler sa gorge et finalement submerger ses pensées. C'était comme cela depuis son adolescence, depuis qu'il avait commencé à faire ces affreux cauchemars qui ne lui laissaient aucun souvenir, et il n'avait jamais réussi à dominer cette terreur qui lui faisait honte. Dès qu'il retrouvait la lumière, il se trouvait ridicule, il se jurait que la prochaine fois il saurait quoi faire, que c'était irrationnel et infantile de fantasmer sur des bêtes tapies dans l'ombre, qu'il suffisait de souffler calmement et de se dire en boucle que c'était stupide d'avoir peur. Et la prochaine fois arrivait. Et la seule chose qu'il parvenait à maîtriser, c'était le fait de fermer les yeux et de se recroqueviller sur lui-même pour ne pas se mettre à hurler.

D'autant plus que là, dans cette pièce, il avait vraiment l'impression que quelque chose de dangereux émergeait des ténèbres, dans son dos. Qu'en ces lieux incohérents, les peurs les plus infantiles devenaient tout à fait plausibles et qu'il était d'une importance vitale de ne pas se retourner, de rester plaqué contre cette porte et de ne surtout pas se retourner, même s'il avait l'impression d'entendre le raclement de pattes griffues qui s'étiraient, même s'il croyait percevoir une respiration sifflante, parce que s'il tournait la tête, s'il se mettait à penser que c'était réel, cela le deviendrait, cela le deviendrait forcément, il se retournerait et il y aurait quelque chose, des yeux dans lesquels se refléterait la flamme de son briquet, des crocs jaunis qui passeraient la limite du cercle de cendre pour s'approcher lentement, lentement, en prenant tout leur temps, pour...

"Ca... leb..."

Il fit un tel bond que son pouce glissa sur le briquet tempête et que la flamme disparut. Avec le peu de fierté qui lui restait, il plaqua violemment sa main libre sur sa bouche pour juguler le hurlement qui lui venait et battit aussitôt la mollette. Alors, dans son angoisse soudain décuplée, il sut que cela ne fonctionnerait pas. Il allait rester dans le noir, tout seul dans le noir... Oh mais non, pas tout seul n'est-ce pas?...

Mais l'essence s'enflamma comme elle l'avait toujours fait. Et Caleb comprit soudain que cette voix qui lui avait fait frôler la crise cardiaque ne venait pas de la pièce, mais de l'autre côté de la porte.

"Rodrigue? C'est toi?..."

Une seconde. Deux secondes. Trois secondes. Puis, à peine plus fort qu'un chuchotement:

"Caleb, ça va?"

Le Techie émit le soupir de soulagement le plus profond et le plus sincère qui fût, avant d'articuler d'une voix hachée par sa respiration toujours bien trop rapide:

"Oh nom d'un brahmine... Tu m'as foutu la trouille..."

Puis, petit miracle de l'orgueil, Caleb se focalisa sur le fait qu'il parlait à l'un de ses employés et parvint à stabiliser quelque peu ses paroles trop familières et vacillantes.

"Je... je vais bien. Enfin, j'irai mieux quand je serai sorti de là. Je ne peux pas ouvrir la porte, il n'y a pas de poignée de mon côté."

Lui aussi sentait la présence de Rodrigue de l'autre côté de la porte, et cela changeait un point essentiel de sa situation: il était toujours coincé dans l'obscurité, mais il n'y était plus seul. Enfin, plus tout à fait. Quelqu'un cherchait à le faire sortir de là, quelqu'un allait l'aider. Caleb en était tellement heureux qu'il ne songea même pas à s'offusquer de l'usage intempestif de son prénom. Evidemment, il ne se rendit absolument pas compte que Rodrigue n'était pas en bien meilleur état que lui-même.

Des bruits de frottements parvinrent au Techie à travers le battant, avant que le Lespurien ne confesse son échec face à la clenche bloquée. Le soulagement de Caleb s'évapora aussi vite qu'il était apparu.

"Tu es sûr? Insiste un peu, avec moi elle n'a pas résisté longtemps."

Oui, avec lui... La tournure était peut-être plus judicieuse qu'il n'y paraissait. Maintenant qu'il le disait, il se rendait compte que dans un endroit pareil, il n'était pas exclu que la pièce ait fait exprès de l'enfermer, lui. Lui en particulier.

Ou bien... était-ce Rodrigue qu'elle voulait isoler?...

Caleb s'arrêta un instant sur cette idée avec un mélange de surprise et de malaise, comme s'il faisait ralentir sa calèche pour contempler un accident de la route. Il se rappela la confession de son barman, le fait qu'il se sentait mal depuis qu'ils étaient arrivés, qu'il haissait ces ruines. Peut-être que c'était réciproque. Peut-être que quelque chose en Rodrigue ne plaisait pas à l'entité rough qui vivait en ces murs.

Oh mais on s'en foutait! Le borgne était dehors, lui, il pouvait se sauver quand il le voulait, lui! Il n'était pas retenu dans une cellule sans lumière en compagnie d'une figure de cendre démoniaque. La priorité, c'était lui-même, pas son employé, merde!

"Oui, tu pourras m'engueuler autant que tu veux, promis. Mais il faut que tu me fasses sortir de là, tu entends? Avant que je n'ai plus d'essence dans mon briquet."

Caleb s'en voulut d'avoir prononcé cette dernière phrase au moment même où elle passait ses lèvres: autant dire avouer qu'il était au bord de la crise de panique dès que sa minuscule torche vacillait... Mais bon, Rodrigue devait avoir autre chose à faire que de prêter attention aux faiblesses que son patron laissait entrevoir. D'ailleurs, le patron en question aurait lui-même mieux fait de se préoccuper d'un problème plus concret, à savoir: comment le sortir de cette merde?...

Rodrigue n'arriverait pas à défoncer la porte, elle était visiblement bloquée par magie. En d'autres lieux, Caleb aurait tenté quelque chose avec son reflet, d'autant plus que l'énergie issue d'un lever de voile était généralement supérieure à celle mobilisée par un procédé rough. Mais comme il l'avait expliqué tantôt, cela signifiait se mettre à dos l'ensemble des ruines. Des ruines que de surcroît ils ne pouvaient pas quitter à cause de la tempête.

"Rodrigue? Toujours là?"

Caleb déglutit. Il rectifia légèrement la prise que son pouce maintenait sur le briquet: il commençait à avoir mal à la main et il craignait que son doigt ne lâche à nouveau le bouton qui maintenait l'arrivée d'essence, ce qui ne l'aidait pas à garder son calme.

"Ecoute-moi bien: je ne pense pas qu'on puisse défoncer cette porte sans magie. N'essaie pas, ça risque de te faire du mal. J'ai bien une idée, mais si je la met en pratique, il va falloir déguerpir d'ici le plus vite possible. Alors on va attendre une accalmie du blizzard."

Ou que son briquet s'éteigne définitivement: il préférait encore souffrir mille morts en exposant à nouveau sa jambe au vent gelé et risquer de tous les tuer que de rester là à attendre sans la moindre lumière. Ce n'était même pas négociable. Mais comme c'était vraiment humiliant, Caleb n'en souffla pas un mot.

"Quand tu remarqueras que ça se calme un peu, prépare les chevaux dans le réfectoire, faut vraiment qu'on puisse partir en quelques secondes. En attendant, va déjà rassurer Chips, et puis..."

Et puis quoi? Si Rodrigue retournait se mettre au chaud, il le laisserait seul. Mais si le barman restait dans ce couloir plein de courants d'air glacés, il risquait de s'endormir contre un mur pour ne plus jamais se réveiller, et Caleb n'était pas du tout certain de pouvoir se sortir de là tout seul. Il fallait que le Lespurien s'abrite, c'était évident. Mais...

"Au fait, tu vas bien? Cette fichue porte ne t'a pas pété le nez?"

Mais Caleb ne pouvait pas lui dire de s'en aller. Il ne parvenait pas à rassembler assez de courage pour ordonner cela à Rodrigue, même si c'était la seule chose à faire. Il fallait que le barman le déduise tout seul, en espérant qu'il ne serait pas trop sensible à l'angoisse qui transparaissait facilement dans la voix de son patron tiraillé entre son orgueil et sa peur. Le Techie se sentait à peine la force de ne pas le retenir s'il partait; il ne savait pas s'il pourrait refuser de le voir rester.

Parce que tant que Rodrigue était là, hume bien tangible derrière la barrière de bois, Caleb pouvait encore se persuader que la présence qu'il ressentait dans son dos n'était que le fruit de son imagination.
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Rodrigue Llorandes

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Rodrigue Llorandes

Signalement : Hume, la trentaine, carrure solide, 1m85, cheveux noirs, yeux bleu pervenche, cicatrice sous l'oeil gauche.


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MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime26.04.09 1:49

Rodrigue lâcha un soupir éreinté, qui dessina un long ruban blafard autour de son visage. Ses mains tremblaient un peu, à force sans doute de rester figées, du bout des doigts, sur le bois de la porte. Sans appuyer, parce que ce contact le rendait malade. Mais il n’osait pas s’en détacher non plus. Son dégoût pour ce laboratoire grandissait de minute en minute ; comme si l’air se raréfiait autour de lui par pure et intentionnelle malveillance. Mais Caleb était là, bloqué dans cette pièce qui pulsait comme un cœur noir et monstrueux mais qui ne veut pas lâcher, qui pulsait sournoisement, à l’inverse de son propre cœur, pour l’étouffer, le détruire, le dévorer, le…

Peur.

De la peur… ?

Les pupilles s’étrécirent au milieu des iris pervenches, et s’animèrent d’un éclat sans chaleur. Rodrigue déglutit faiblement, ploya un peu sa nuque pour dévisager, éperdu, le plafond craquelé du couloir. Oh par l’Etat, non…Non ! Il ferma les yeux avec force et contint le gémissement d’effroi qui escaladait sa gorge tendue.

Caleb, avait-il peur ?

Il inspira longuement, difficilement. Et ce fut comme un parfum qui inonda ses narines. La mort, l’iris, la peur : c’était la même chose, tous étaient intimement liés, suturés à la même plaie.

« Une accalmie…Entendu…une… »

Il ne put murmurer que cela, d’une voix rauque et comme lointaine. Cette peur étrangère à lui-même s’infiltrait insidieusement, nauséabonde, glissante comme de l’huile, pour parasiter ses pensées. Rodrigue haletait. Si Caleb parvenait à dissimuler son état de panique, derrière cette porte, elle s’écoulait sans bride dans la poitrine du Lespurien, et cognait son cœur avec une violence insoupçonnée. Il s’écarta un peu de la porte, le temps de reprendre son souffle et de mettre mentalement la main sur cette créature féline qui feulait de terreur, nichée dans un coin de sa tête. Il repoussa l’émotion. Et cet effort supplémentaire le laissa patraque, en équilibre précaire au milieu du couloir, ses yeux errants sur la porte dévorée de lumière glacée.

« Là, du calme. »

Ce soupir, à peine audible, n’était pas réellement destiné à Caleb. Rodrigue frémissait de la tête aux pieds, soudainement plus sensible au froid assommant du blizzard. Le trafiquant avait exposé son plan, et son garde du corps était parvenu à en saisir l’essentiel, malgré son vertige mâtiné de panique. Le barman resserra les pans de son manteau contre lui, se redressa de toute sa hauteur en veillant également à se recomposer une voix plus assurée :

« Très bien, j'y vais. »

Rodrigue jeta un coup d’œil vers le réfectoire éventré, d’où il pouvait apercevoir le blizzard faire rage et densifier l’air au point d’en faire un rideau blanc sans la moindre nuance. En espérant que cette tempête se calme bientôt. « Avant que le briquet n’ait plus d’essence », n’est-ce pas ?
Ses yeux violets se portèrent durement sur la porte, qu’il ne se privait plus de fixer avec toute la révulsion qu’elle lui inspirait encore. Et Caleb, derrière…Sa peur, cette fulgurance nette comme la silhouette de ce chat qui pleurait avec la voix d’un enfant, agressive et désespérée, qui plantait ses griffes et ses crocs dans sa peau à lui.

Il avait bien sentit cette peur enfler quand il avait annoncé son départ. Hérissée, frissonnante, électrisante. Si bien que Rodrigue était resté sur place, pétrifié – et un peu enivré par ce parfum trop dense auquel il ne voulait pas succomber. Demander à Caleb de rester calme le temps qu’il aille chercher les chevaux était exclu d’office : porte ou pas, il savait pertinemment que cet affront à sa dignité lui coûterait plus cher que prévu. En d’autres circonstances, les mots nécessaires lui seraient venus naturellement, mais à présent, il avait davantage envie de lui hurler de « se taire » un moment, le temps qu’il remette ses idées au clair. Allez, un petit effort…

« Ah… au fait…»

Il frappa légèrement à la porte pour signifier plus concrètement sa présence.

« Non, la porte ne m’a pas touché. Mais je suis tombé quand même…manque de chance. »

Il trouva le moyen de rire un peu. Pas tout à fait un éclat de jovialité impeccable et parfaitement maîtrisé, mais un rire, tout de même. Il avisa encore une fois le couloir, évaluant le temps que prendrait la préparation de leur fuite. Affectant comme pour lui-même la nonchalance, il se frotta les bras en pestant en lespurien contre le froid, et se mit à chanter. Ou plutôt, à fredonner, mais le silence était tel dans le laboratoire que sa voix s’élevait, curieusement nette et claire. Et parfaitement audible pour le prisonnier, même si Rodrigue s’éloignait en même temps dans le couloir.

« Once, I was lost
to the point of disgust
I had in my sight
lack of vision
lack of light
I fell hard
I fell fast
mercy me
it'll never last… »


Il n’aimait pas ces paroles, parce qu’elles avaient du sens. Mais c’était la seule qui lui était revenue à l’esprit, et la seule dont il se souvenait à peu près correctement. Lorsqu’il ouvrit la porte de la réserve, Chips était là comme s’il lui avait tendu une embuscade : la créature écarlate heurta le torse du Lespurien dans un « KWI » plein de remontrance. Lespurien, qui, trop habitué à ces assauts pour en être encore surpris, tapota le postérieur de Chips pour l’inciter à grimper sur ses épaules, ce qu’il consentit à faire sans renâcler. Rodrigue avisa un bref instant le feu, qui avait déjà diminué d’intensité. L’idée que le laboratoire devienne tout de même la proie des flammes après leur départ, par sa faute, le réjouissait tout particulièrement. Aussi, il dédaigna le foyer affaibli et tira les deux chevaux par le licou pour les faire avancer. Il ne savait pas ce que prévoyait Caleb, mais se fier à sa connaissance d’Initié était sans doute son dernier recours. Il préférait encore suivre son patron dans une mission suicide plutôt que de rester tranquillement assis à attendre que cette magie minérale lui lacère ce qui lui restait de raison. Il continua toutes les préparations en fredonnant, sans se sentir obligé de hausser le ton plus que nécessaire, puis il revint vers la porte pour y frapper un léger coup.

« Ça va ? »

Chips, non loin de là, tâchait de couiner avec soin la même chanson, confortablement installé dans sa sacoche de voyage. Rodrigue lui adressa un sourire amusé. Sa présence avait le mérite d’effacer dans un périmètre salvateur toute forme d’inquiétude nourrie de peur. Le barman s’adossa au mur, suffisamment loin de la porte pour ne pas être à nouveau pénétré par ses effluves malsaines, et observa avec attention le blanc du blizzard au-dehors.


« Kwiiiiiiiiii kwi kwi kwiiiiii ! »


Le temps passa. Insensiblement pour Rodrigue, qui ne faisait plus que scruter le rideau blanc de la tempête à la recherche de signes annonciateurs d’une accalmie. Il fredonnait encore, de temps en temps, mais Chips semblait tenir à le relayer en faisant étalage, avec une voix ensommeillée mais vaillante, de son vaste répertoire de chansons inconnues et plus qu’étranges.
Et puis, de façon quasi inespérée, le vent souffla avec moins de rage au-dessus de leurs têtes, et il put même distinguer la lointaine ligne de collines enneigées au-delà de l’ouverture du mur. Rodrigue réagit aussitôt.

« Caleb ! »
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Caleb Mancuso

- Attachiant de service - Punching-ball adoré!

Caleb Mancuso

Signalement : Hume Evolus d'environ trente ans, pas très grand (1m72) et peu épais en ce moment, cheveux châtains, yeux noisette, bel homme, vêtements de très belle facture, pas de cicatrice visible quand il est habillé à part une entaille en virgule sous l'oreille gauche


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MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime26.04.09 20:26

Le Lespurien lui dit qu'il s'en allait et Caleb parvint d'extrême justesse à retenir le "non!" désespéré qui lui montait aux lèvres. Il ferma les yeux, souffla le plus longtemps possible, inconscient que tous ses vaillants efforts pour dissimuler sa panique ne servaient absolument à rien et que Rodrigue l'avait percé à jour depuis longtemps. Alors que le Techie s'efforçait de ne pas perdre complètement les pédales, il entendit soudain un son des plus incongrus de l'autre côté de ce sinistre battant: son barman riait. Il riait, presque naturellement, presque comme s'il y avait vraiment quoi que ce fût ce drôle dans cette situation, et lorsqu'il commença à s'éloigner, Caleb entendit sa voix grave et posée s'éléver tandis qu'il se mettait à chanter. A chanter.

Fugitivement, la terreur du Techie devint de la haine, une rage inextinguible contre ce fils de putain qui fanfaronnait là-dehors pendant que lui était enfermé dans cet enfer; comment pouvait-il le narguer de la sorte, ce foutu connard? Il trouvait ça drôle?! Et c'était quoi la suite du plan, se carapater avec les chevaux et Chips à la prochaine accalmie, en laissant son patron seul avec son briquet bientôt vide et sa raison qui partait en lambeaux? Remarque, ce serait plus logique, n'est-ce pas? Rodrigue n'avait aucun intérêt à risquer sa vie pour aider son abruti d'employeur à se sortir du piège dans lequel il s'était lui-même fourré. Mieux, il connaissait assez des secrets du D Bar pour reprendre à son compte la petite affaire du Techie. Personne ne saurait jamais ce qu'il s'était passé. Même pas Chips, sans doute: enseveli sous les amuse-gueules que le Lespurien lui filerait, il aurait vite fait d'oublier son ancien maître.

Et comme il pensait cela, Caleb sentit sa fureur redevenir un misérable désespoir. Il se sentit soudain épuisé, complètement vidé, et il se laissa en silence glisser le long de la porte jusqu'à s'asseoir dans la poussière, l'épaule gauche et la tête toujours contre le bois, sa jambe douloureuse étendue devant lui, les yeux baissés vers la flamme tremblotante du briquet. D'ailleurs, maintenant qu'il observait de près cet objet auquel il n'avait jamais vraiment prêté attention, il remarquait qu'en poussant légèrement la détente sur le côté, il pouvait maintenir l'arrivée d'essence ouverte sans avoir besoin d'appuyer dessus en permanence. Maigre consolation: il pourrait voir la minuscule torche s'éteindre sans être distrait par d'horribles crampes dans la main.

Dans le couloir, il perçut le pas des chevaux que Rodrigue menait jusqu'au réfectoire. Les braillements de Chips qui tentait de soutenir le barman dans ses esquisses musicales firent plus de mal que de bien à Caleb, particulièrement quand il entendit les couinements suraigus s'éloigner après être passés devant la porte de sa prison. Oui, c'était évident, Rodrigue allait partir sans lui, il allait l'abandonner là-dedans. Parce qu'il n'avait aucun intérêt à l'aider, alors pourquoi l'aurait-il fait?...

Finalement, il avait peut-être bien fait un détour par l'ésotérisme lorsque son coeur s'était arrêté, six ans plus tôt: il semblait bel et bien destiné à mourir seul, en criant en vain dans le noir.

Autant dire que ces charmantes pensées pas du tout grandiloquentes furent violemment battues en brèche lorsque Rodrigue revint frapper à la porte, avant de se poster non loin d'elle tout en continuant à chantonner comme s'il avait été en train de nettoyer son comptoir. Caleb eut le réflexe idiot de jeter au battant le regard médusé qu'il aurait voulu adresser à son employé: il se moquait de lui, en plus? Ou bien... non sérieusement, il restait? Il comptait l'aider?

"Euh... ça va..."

Rodrigue continait à fredonner, plus ou moins bien accompagné par le reptomarsupial qui beuglait ce qui ressemblait à une version hard rock de "Douce Nuit". Caleb se demanda à nouveau si Rodrigue ne se foutait pas de sa gueule, avant de brusquement réaliser que tant qu'il était en colère contre son barman, il n'avait pas peur. Tant qu'il les entendait chanter, il savait qu'il n'était pas seul. C'était peut-être un hasard. C'était sûrement un hasard, une heureuse coïncidence.

Comme cela l'était que Rodrigue ait mené le cheval de son patron à moitié paralysé jusqu'à une table qui allait pouvoir lui servir de marchepied.

Caleb sentit un sourire étirer ses lèvres trop pâles. Il baissa les yeux vers son briquet et décida qu'il avait assez pleurniché: il pouvait s'en sortir, on allait l'aider à s'en sortir, et tant qu'il se raccrochait à cette idée, il parvenait à juguler sa terreur. La fuite. Se cramponner de toutes ses forces à l'idée que ce serait bientôt fini.

Il se releva, plus difficilement que la première fois: dans cette pièce gelée, son genou recommençait à faire des siennes. Grimaçant, sa main libre plaquée sur le bas de sa cuisse droite, Caleb éleva l'autre au-dessus de sa tête pour agrandir un peu le petit cercle de lumière dispensé par son briquet: peut-être qu'il trouverait quelque chose dans cette fichue pièce pour faire office de torche, voire de feu de camp. Il s'avança prudemment, en longeant le mur de gauche. Il n'avait même pas atteint le premier angle qu'il remarquait déjà des cercles d'acier profondément encastrés dans le mur, à environ un mètre du sol. Il en croisa une paire, deux paires, trois, quatre... et cela continuait sur le mur perpendiculaire. Avec un mauvais pressentiment, Caleb baissa son briquet.

Des menottes. Des menottes prises dans le béton, aussi loin qu'il pouvait voir, sans doute partout autour de lui. Un sol qu'il comprenait soudain être légèrement en pente. Et au centre de la lugubre salle, une grille d'évacuation grande comme une main hume.

Le mystère de l'absence de poignée intérieure élucidé, Caleb retourna sagement s'asseoir contre la porte, en s'efforçant de ligoter son imagination. Il n'avait pas tenté de retrouver sa chapka, de peur de ce qu'il pourrait découvrir d'autre en s'avançant plus loin. Il ne voulait pas savoir ce qui s'était produit dans cette pièce, ce que l'on étudiait dans ce labo, et ce avant même que le cercle de cendres n'y fasse son apparition. Non, vraiment, il n'avait aucune envie de savoir.

Et l'attente commença.
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Caleb Mancuso

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Caleb Mancuso

Signalement : Hume Evolus d'environ trente ans, pas très grand (1m72) et peu épais en ce moment, cheveux châtains, yeux noisette, bel homme, vêtements de très belle facture, pas de cicatrice visible quand il est habillé à part une entaille en virgule sous l'oreille gauche


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MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime26.04.09 20:27

C'était long.

Effroyablement long.

Caleb n'osait pas sortir sa montre: il l'avait fait deux fois, au début, et constater que le temps passait à une telle lenteur lui avait fait l'effet d'un supplice. Il s'était assis dos à la porte, ce qui était plus confortable, les mains en coupe autour de son briquet pour sauver ses doigts du gel, les yeux clos pour ne pas regarder par inadvertance dans les ténèbres qui frôlaient ses jambes étendues. Comme ce n'était néanmoins pas suffisant pour lui permettre de respirer normalement, il avait décidé d'ôter ses gants, son écharpe et d'ouvrir son manteau, en espérant que le froid le distrairait. Cela avait fonctionné. Cela fonctionnait toujours d'ailleurs: Caleb ne prêtait plus aucune attention à ses frissons, et il en était au stade de l'hypothermie où les sensations s'éclipsent et les pensées s'engourdissent. Une part de lui était encore assez éveillée pour savoir que ce qu'il faisait était effroyablement dangereux, mais ce n'était pas grave. Elle aussi allait finir par se taire. Comme Rodrigue s'était tu.

Menteur.

Le Techie papillonna des paupières, un peu surpris: qu'est-ce que Rodrigue venait de dire?

Et idiot, en plus.

Caleb resta calme encore quelques secondes. Puis il comprit que le murmure qu'il percevait ne venait pas du couloir, dans son dos, mais bien du noir devant lui. Alors son organisme assoupi par le froid se réveilla brutalement, sous l'effet d'une décharge d'adrénaline qui valait toutes les claques du monde, et soudain le Techie perdit les dernières couleurs qui lui restaient. Il avait mal. Il avait mal dans la poitrine.

Il se mordit la lèvre si violemment qu'un goût de sang envahit sa bouche: du calme, DU CALME! Sa main voulait se porter à son coeur, mais il se retint. Il s'y était attendu, il savait que cela allait arriver: les ruines se lassaient d'attendre, elles avaient décidées de jouer avec lui. Mais il ne pensait pas qu'elles fussent capables de lui faire réellement du mal, elle pouvaient tout au plus troubler ses sens et compter sur le fait qu'il s'en ferait à lui-même. Les voix, cette douleur dans la poitrine, ce n'étaient rien, rien que des illusions sans conséquences. Il aurait parié son bar que d'une seconde à l'autre, Kyle allait émerger des ténèbres pour venir lui chuchoter à l'oreille. Alors il devait se concentrer sur le fait qu'il était seul. Que son coeur allait bien. Qu'il allait sortir de là, oh merde allez, il allait très vite sortir de là...

Pourquoi? Pourquoi il t'aiderait?

Caleb ne voulait pas écouter, mais il ne pouvait pas se boucher les oreilles sans poser son briquet, ce qu'il se refusait formellement à faire. Et puis, il devait avouer qu'il ne s'était pas attendu à cela: la voix qu'il entendait n'était pas celle de Kyle. Ce n'était même pas une voix qu'il connaissait.

C'était celle d'un enfant.

C'est vrai, pourquoi? Je le trouve bien gentil de rester, alors que tu lui as menti. Comme tu mens toujours.

Il ne voulait pas répondre, il ne voulait vraiment pas: on ne parle pas aux hallucinations. Mais il ne put empêcher son esprit d'émettre un "quoi?..." interloqué.

Tu lui as promis que tu serais là quand il se réveillerait. C'était important, pour lui c'était important. Mais toi tu t'en fous, hein?

Caleb entrouvrit les paupières, presque malgré lui: c'était quoi cette hallucination qui l'attaquait sur une question aussi ridicule? Il distingua une silhouette, devant lui, et il referma vivement les yeux.

Ridicule? Tu trouves ça ridicule de faire des promesses que tu ne tiendras pas?

"Mais enfin je tiens mes promesses!"

Pas quand cela ne te rapporte rien. Encore moins quand cela te demande du courage. Et ça on le sait tous les deux.

Caleb sentit ses mâchoires se contracter. Ces ruines commençaient à l'énerver: il pensait qu'elles allaient le hanter avec des souvenirs humiliants et sanglants, son passé n'en manquait pas. Pourquoi lui taper sur les nerfs avec ce sujet stupide? Décidé dans sa colère à faire face, il ouvrit enfin les yeux, en grand. Il était prêt à voir Malthéo, ou Elric, ou n'importe laquelle des quinze victimes de Kyle.

Il ne s'attendait pas au petit garçon maigre et blâfard qui le dévisageait dans l'obscurité sous ses cheveux trop longs et mal coiffés. Il était pieds nus, simplement vêtu d'un pyjama trop grand, blanc à rayures bleu ciel comme ceux qu'on leur donnait à l'orphelinat. Caleb affronta son regard sans un mot, incrédule. Il ne connaissait pas ce gosse. Il ne connaissait pas ces yeux trop verts, comme ceux de Seel.

"Qu'est-ce que tu veux?"

Que tu n'oublies plus jamais.

"Oublier quoi? Toi?"

Que tu es un minable.

Caleb s'autorisa un rire cynique:

"Des fantômes inconnus qui insultent les vivants... Génial. Tu aurais dû venir plus tôt, le temps passe plus vite quand on rigo..."

La voix du Techie s'étrangla net, comme si on l'avait giflé. Son teint se fit crayeux, sa respiration recommença à accélérer, il sentit à nouveau son front se couvrir de sueur. Il venait de voir ce qui pendait au bout du bras droit du garçon. Une vieille peluche flasque et mille fois recousue, de celles que l'on trouve dans les collectes de charité. Ce qui en d'autres temps avait dû être une espèce de chat-écureuil roux.

Trois vérités, comme autant de coups de poignards qui le transpercèrent jusqu'aux os.
Cette peluche, il l'avait emmenée avec lui dans sa fugue, parce que c'était l'une des rares choses qui étaient vraiment à lui, et pas simplement un truc prêté par l'orphelinat.
A l'intérieur de la jambe du garçon, un filet de sang qui coulait de bas en haut avait tracé une raie sombre sur le pyjama clair.
Caleb n'avait aucune photo de lui-même à onze ans: il avait eu tout le temps d'oublier ce qu'il voyait dans les miroirs, à cette époque.

Tu es un minable, parce que tu dis toujours non à tout le monde, avant de les accuser de te laisser tomber. Tu leur mens, tu te fous de leur gueule, parfois tu vas jusqu'à les tuer en traître, et après tu oses encore te plaindre? Un vrai gosse.

Ricanement. Acéré comme le sourire de Seel. Caleb, lui, ne riait plus du tout.

Un vrai gosse. Remarque, c'était ça qui lui plaisait, à lui. Que tu sois si profondément un gosse.

"Tais-toi..."

Parce que quand on y pense, c'est le seul à qui tu n'as jamais dit non, hein champion?

"TAIS-TOI!"

"Caleb!"

Cette fois, le Techie lâcha un cri terrifié et son briquet lui échappa pour se refermer avec un claquement. Noir. Il parcourut fébrilement le sol glacé du bout des doigts, mais le temps qu'il retrouve sa précieuse source de lumière et qu'il batte à nouveau la mollette, le garçon avait disparu, bien évidemment. Caleb émit un soupir soulagé qui ressemblait à un sanglot, avant de flanquer un coup dans la porte avec fureur:

"Oh Rodrigue, merde, tu es cinglé de crier comme ça?!"

Le trafiquant se passa une main sur le visage, découvrit qu'il était couvert de transpiration et que ses doigts tremblaient. Il déglutit, et lâcha sans prendre la peine de dissimuler sa peur et son épuisement:

"Excuse-moi, je... j'en peux plus, là. Par pitié, dis-moi que ça se calme."

Ca se calmait. Caleb laissa la phrase s'installer dans son esprit avec délice, et une chaleur nouvelle parut parcourir son corps transit. Enfin. C'était fini. Pour la première fois, il fut heureux d'être enfermé à l'écart de Rodrigue: en cet instant, il n'aurait pas pu s'empêcher de serrer le barman dans ses bras, et il ne s'en serait jamais remis.

Tu vois? Tu dis toujours non...

"Ta gueule."


Caleb se sentait assommé, comme s'il avait éprouvé trop d'horreur et de colère pour continuer à penser normalement. Il se demanda si Rodrigue avait surpris cette "conversation" dont le Techie se serait bien passé. Pénible moment de doute. Puis il décida que non, son employé n'avait rien entendu; sinon il serait intervenu pour demander ce qu'il se passait, n'est-ce pas?

"Attends une seconde Rodrigue."

Caleb se déplaça péniblement sur le côté, sans se relever pour ne pas mobiliser inutilement son genou trop faible. Il eut la présence d'esprit de se placer sur le mur opposé à celui contre lequel s'ouvrirait le battant, histoire de ne pas lamentablement se le prendre dans la tronche. Puis il rassembla le peu de nerfs qui lui restaient, se cala bien contre le mur. Et l'ondoyante silhouette de son reflet au premier stade apparut à côté de lui.

Ce fut comme si l'air se solidifait. Comme si tout le labo retenait son souffle, outré comme une diva devant laquelle on vient de jurer. Un calme aussi soudain et absolu que menaçant, qui agit sur la peur de Caleb comme un aiguillon sur la croupe d'un cheval trop nerveux: le reflet du Techie fusa à travers le mur comme s'il avait un monstre à ses trousses, le trafiquant inspira avec un sifflement d'asthmatique l'oxygène qui peinait à rentrer dans sa poitrine oppressée, il ferma les yeux et éteignit son briquet.

Lorsque ses paupières se soulevèrent, une seconde plus tard, il se tenait dans le couloir, devant Rodrigue. Il ne paraissait pas plus en forme que dans son corps d'origine; même peau cireuse, mêmes mains tremblantes, mêmes lèvres bleuies par le froid. Mais lorsqu'il sentit l'air libre sur son visage, qu'il dut plisser les yeux pour se garantir de la lueur pourtant terne du ciel nuageux, et surtout qu'il découvrit l'expression de son barman, Caleb ne put s'empêcher de sourire et d'écarter légèrement les bras:

"Surprise..."

Oui surprise, il était magicien. Il n'avait jamais menti à ce sujet, d'ailleurs, n'en déplaise à l'horreur aux yeux verts qui s'était amusée à lui faire peur: il avait simplement dit qu'il n'était pas Psyker... Caleb laissa passer une seconde pendant laquelle il savoura son petit effet et s'appliqua à oublier ce qui venait de lui arriver, avant qu'un vertige ne l'oblige à revenir à une position plus stable et moins crâneuse:

"Désolé... je suis fatigué, je ne vais pas pouvoir maintenir ce reflet longtemps. Je te passe les détails, mais mon vrai corps est toujours là-dedans, il faut que tu m'aides à défoncer la porte. Avec un peu de chance, je devrais réussir à briser la barrière magique pendant que tu t'occupes de celle en bois."

L'atmosphère sembla se charger en électricité statique, et Chips s'arrêta brutalement de chanter pour effectuer un repli prudent dans sa sacoche attitrée: le labo n'était pas content. Et il allait l'être encore moins.

"Allez, on se bouge."
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Rodrigue Llorandes

- Un dernier verre ? Mmh ? - Innocent perverti

Rodrigue Llorandes

Signalement : Hume, la trentaine, carrure solide, 1m85, cheveux noirs, yeux bleu pervenche, cicatrice sous l'oeil gauche.


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MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime01.05.09 22:25

« Ça s’est calmé. Mais mieux vaut ne pas traîner… »

Il trouva inutile de rappeler que le blizzard pouvait refaire fureur à tout moment. Bon, en réalité, Rodrigue était surtout pressé de quitter cet endroit. D’arrêter de voir ces lumières clignoter presque innocemment dans le couloir, alors qu’il avait eut tout le temps de noter que ces fameux néons étaient tous brisés de l’intérieur. Arrêter aussi de sentir de parfum de fleur qui allait et venait comme une entité organique décidée à le tourmenter. Et ne plus jamais voir cet œil violet le dévisager dans les ténèbres de ce couloir.

Enfin, surtout : faire sortir Caleb de cette maudite pièce avant que lui-même ne devienne fou de claustrophobie – ou quelque soit le nom que l’on pouvait donner à cette masse asphyxiante et vive comme un chat – cette peur, donc, qui dévorait le Techie.

Rodrigue avait néanmoins senti, après une réaction un tantinet trop violente lorsqu’il l’avait interpellé, que Caleb semblait s’apaiser. La peur rebroussait chemin… remplacée par un empressement calculateur qui leur laissait du répit à tous deux. Un silence se posa comme un voile frais sur la tête du Lespurien, et il poussa un léger soupir de soulagement, tout en passant une main patiente sur la cicatrice qui balafrait sa nuque. Là, du calme…C’était peut-être ce qu’il aurait dû lui dire, depuis le début.

« C’est quoi votre plan, patron ? »

Les yeux ombragés de Rodrigue se figèrent sur le panneau de la porte. Sans doute aurait-il dû jeter des mots au silence comme on allume des bougies dans l’obscurité ; mais l’angoisse furtive et désespérément familière qui avait étreint son réveil ne lui lâchait par le cœur. Ce fiel…il était revenu se couler, brûler sa chair de l’intérieur. Et Caleb était parti. Ça, il pouvait difficilement l’oublier ; ni se l’expliquer raisonnablement. Il n’avait pas le temps d’être froissé, ni de lui en vouloir. Ils devaient sortir de là – ensemble, c’était une évidence déconcertante aux yeux du Lespurien. Oui, ensemble. Quand même.
Rodrigue cilla, dérangé par le trouble soudain qui agitait sa poitrine. Caleb lui avait dit d’attendre. Mais que devait-il attendre ? Et que signifiait cette dislocation incompréhensible qu’il ressentait au fond de lui-même ? Le barman tâcha de garder son sang froid, et attendit sagement des instructions plus explicites. Sauf que lui, il s’attendait à tout, sauf à voir son patron traverser la porte, véritable spectre blafard qui posa ses yeux miel sur lui. Rodrigue avait aussitôt esquissé un mouvement de recul, et dévisageait avec un effroi patent ce double parfait qui lui souriait avec nonchalance. Un fantôme. Même lorsque Caleb prit la parole, le barman eut du mal à délaisser son sentiment d’horreur pour saisir les informations. Un mort. Caleb. Mort. Vif. Menteur.

Quoi ?

Rodrigue secoua la tête avec énergie. Le froid mordait sa nuque, et ses mains restées obstinément nues étaient devenues encore plus blêmes et frissonnantes. Il ferma les yeux avec force, tâchant de se concentrer sur les injonctions de son patron. Après tout, ce n’était que de la magie. C’était juste que Caleb avait « omis » de lui préciser qu’il la maîtrisait également. Une petite négligence, encore. Il releva les paupières, darda un regard indéfinissable vers le Techie. L’atmosphère semblait s’être alourdie de quelques tonnes en une petite poignée de secondes. Le Laboratoire était vivant.

Rodrigue inspira profondément. L’air glacé pénétra douloureusement dans ses poumons, et ressortit en un long panache effilé. Sur l’imitation du clone, il se plaça devant la porte, l’épaule en avant et prêt à la forcer. Il se souvenait un peu trop clairement que la première fois qu’il avait tenté d’ouvrir cette porte de force, il l’avait payé assez chèrement. Tant pis, maintenant, il était nécessaire qu’elle cède. Deux ou trois épieux de foudre plantés dans son crâne n’y changeraient rien.
Il n’eut pas besoin d’échanger un mot avec le « fantôme » - il s’y refusait, d’ailleurs, sans trop savoir pourquoi. La connivence malgré tout établie tenait davantage de son don. Cette copie était une impression densifiée, cristallisée : envie de fuir, colère, frustration, et toujours un peu de cette peur qui gèle. Il devinait simplement ses intentions les plus patentes, aussi claires que s’il les énonçait à haute voix. Ils s’élancèrent en même temps contre la porte ; lui contre le bois sec et froid, l’autre contre le filtre rough qui emprisonnait le vrai Caleb.

Il entendit hurler. Mais ce n’était pas un cri humain. Rage. Une fureur minérale, ferreuse, l’impulsion brûlante qui parcourait comme un frisson les briques, le métal, les dalles, l’air ambiant.

La porte s’était ouverte. Il y eut comme un appel d’air, et Rodrigue sentit confusément ses cheveux glisser sur son front, strier de noir son champ de vision avant qu’il ne relève la tête. Il ne voyait rien à l’intérieur, mais il voyait quand même, à travers l’épaisseur moussue des ténèbres, eux, et lui, et la pierre qui buvait le sang, et le souvenir de la mort fétide qui montait aux narines. L’Iris. Partout dans cette pièce, elles fleurissaient.

Il eut envie, l’envie viscérale, abominable, de hurler à son tour. De peur, de colère, d’il ne savait plus quoi encore.

Fiel. Tu sens cette colère ? C’est celle de ton père au centuple, celle d’Orféo condensée dans cet espace noir et glauque où ceux-là aux murs ont hurlés bien avant toi à ta naissance et qu’espères-tu enfin t’enfuir tu ne pourras pas car

« Vite. »

Rodrigue était parvenu à articuler ce mot sans le moindre souffle dans sa poitrine. Son corps transi par la magie rough s’anima d’une vigueur inespérée ; et il se vit comme dans un rêve, comme dans un insupportable ralenti, trouver la force de tourner le dos à la pièce, et à courir dans le couloir. Il voyait Caleb, devant lui, et sa jambe qui ne tarderait pas à briser sa course. Tout le reste de son champ de vision était envahi de flammes blanches, d’un brouillard de haine qui n’avait rien d’humain, hormis sa violence meurtrière.

RODRIGUE !

Un frisson vrilla sa nuque. Mais il ne se retourna pas vers la voix qui mugissait haineusement son prénom.

Et le frisson se répandit dans le laboratoire. Avant même qu’ils n’atteignent les chevaux piaffant d’angoisse, les dalles se mirent à vibrer, et les plafonds à faire pleuvoir du plâtre en longs rideaux farineux. Une première poutrelle de métal creva le sol à quelques mètres d’eux et projeta des éclats de pierre. Rodrigue, déséquilibré par un projectile qui avait frappé sa cheville, s’accrocha au licou du cheval bai, les yeux aveugles, mais guidé par une pensée salvatrice qui l’empêchait de s’égarer. Il tint ferme la bride, rompant les tentatives de ruades de l’animal terrorisé.


REGARDE-MOI !


Caleb monta sur son cheval. Et le Lespurien grimaça, les yeux fermés, et tituba légèrement sous le coup de marteau de cette douleur physique entièrement partagée. Il fallait fuir. Vite, il ne tiendrait pas une minute de plus dans cet enfer de perceptions. Dans un ricanement de ferraille assourdissant, des lances jaillirent encore des murs comme pour entraver leur chemin. Le cheval bai fit une embardée effrayée sur le côté pour éviter de justesse l’un de ces assauts, et le barman fut projeté contre le mur, sans aucune blessure mais suffisamment secoué pour demeurer l’espace d’une seconde hagard, les yeux dans le vide.


RODRIGUE !


Un vent violent, porteur de parfums fétides s’engouffra dans le couloir. Des portes claquèrent. Rodrigue s’élança, frappa la croupe du cheval bai pour le faire partir au plus vite. Il n’entendit pas ce que lui criait Caleb, il était assourdi par la bourrasque furieuse. Le licou de son hongre en main, le barman se figea soudainement. Son regard s’était porté, contre sa volonté, vers le fond du couloir.


C’est bien, regarde-moi.


Ses yeux s’écarquillèrent à en devenir douloureux. Là, dans l’ombre dévorante, là où les lumières pulsaient en vain. Lui. Celui qui incarnait la colère, la soif de sang, l’erreur naturelle.




Tes putains d’yeux violets, laisse-moi te les arracher…




Rodrigue hurla, cette fois, les mains portés à sa tête pour contenir le brasier qui s’était allumé dans son crâne et vouait sa raison à un tombeau de cendres. Son hongre se cabra, poussant un hennissement de terreur ; il partit au galop, cherchant fébrilement une sortie. Il suivit par un heureux instinct les traces du bai. Mais un bloc de pierre se détacha soudainement du mur, comme projeté par une main de géant vers le côté opposé ; dans un craquement d’os et un râle intolérable, la monture s’affaissa contre le mur, morte.
Rodrigue ne le remarqua même pas. Il était tombé, en appui sur ses mains tremblantes. Il n’avait nulle part où se cacher, et cette lance de fer qui venait de tomber devant lui n’était pas un obstacle suffisant contre sa fureur. Mais ce n’était plus le même jeu, les règles étaient différentes, le chat était un autre.

« A…arrête, arrête, arrête, arrête ! »

Rodrigue inclina la tête, les mains enlisées dans ses cheveux, les ongles enfoncés dans sa peau. Il psalmodiait ces mots avec l’entêtement d’un enfant vainement convaincu qu’on finira par l’écouter. Il sanglotait, presque. C’était comme s’il avait remonté le temps, loin, là-bas dans le froid de Falkenur, le froid de Messidor, le froid de cette maison hantée par le fiel.




REGARDE-MOI !




Un feulement. Rodrigue hoqueta, leva un regard liquide et terrorisé vers les ténèbres. Feulement des flammes qui avaient jaillies dans le couloir, ronflantes, trop puissantes pour ne s’être nourries que du peu d’huile du foyer. Elles roulèrent comme un long serpent sans tête, vives, bruyantes. Le barman regarda un bref instant, hypnotisé, la beauté du brasier qui venait l’engloutir. Puis il se redressa en un éclair, aiguillonné par son seul instinct de survie, et essaya de courir vers la sortie, au milieu des pierres qui s’écroulaient et des poutres de charpente qui pointaient comme des crocs avides. Ses yeux calcinés aperçurent indistinctement la forme blanche de l’extérieur, où se profilait la monture de Caleb.

C’était là qu’il voulait aller. Caleb… allait-il bien au moins ?



RODRIGUE !



Fureur. Mais non, ce n’était pas lui, c’était le laboratoire qui se jouait de ses nerfs. Ce ne pouvait être lui : il était mort, même avant qu’il ne l’empoisonne. Sa rage était morte, un jour de Messidor. Tout cela n’était qu’une illusion.

Illusion si parfaite. Car c’était bien sa voix, cette inflexion haineuse, vibrante de violence. La voix qui voulait détruire, dominer, maîtriser.
Rodrigue courait sans jamais cesser de trébucher. Il avait à peine dépassé la dépouille tordu du cheval, qu’une salve de barres de métal éclata le plafond et se planta férocement dans le sol. Il n’était pas impossible de passer, s’il pouvait se glisser sous l’angle bas dessiné par deux poutres croisées. Rodrigue ralentit à peine. Et il sentit aussitôt l’absurde douleur d’une main – non, ce n’était que feu !- écrasée contre son omoplate. La soudaineté de la brûlure le jeta contre les barreaux de sa nouvelle prison, et il se retourna dans un gémissement inarticulé, dos contre les fers, et son regard porté sur son père. Simple silhouette formée dans les flammes, qui se tenait immobile et mouvante tout à la fois devant lui. Irradiant sa chaleur comme sa rage de détruire.

Rodrigue contempla avec stupeur ce visage qui lui ressemblait trop, sculpté dans les flammes fiévreuses. Il ne pouvait plus bouger, ni s’enfuir. Il n’en avait plus la force, l’énergie lui manquait. Et que l’enfer l’emporte s’il lui plaisait, pourvu que ce cauchemar-là s’arrête. Le Lespurien ferma les yeux avec force, un gémissement au bout des lèvres.

« Tu m’aimais, non ? Tu m’aimais. Oui, tu m’aimais, au début. »

Il pensait tout haut. Ça, ou formuler des suppliques intérieures, c’était du pareil au même. Il adressa ce murmure à peine audible à la colonne de flamme qui dévorait les débris de charpente, répandant voluptueusement ses pans embrasés pour rejoindre lentement le corps qu’elle voulait s’approprier. Patience, car convaincue que sa nouvelle proie ne pourrait pas s’enfuir, cette fois.

« …Je ne disais rien, mais je ne voulais pas lui obéir. Ça ne me plaisait pas…mais toi, tu croyais que si, finalement. »

Le crâne de Rodrigue heurta le métal d’une poutre contre laquelle il était appuyé. La tête relevée, gorge exposée, il regardait, le visage figé par la douleur, le fantôme ardent de son père.

« Je ne voulais pas qu’elle soit triste. C’est tout, c’est vraiment tout…»

Et un éclat de voix derrière lui le ramena à la réalité. Une réalité toute simple, un peu bête, mais farouchement essentielle dans son esprit : il ne devait pas mourir maintenant. Quelque chose l’attendait, là, derrière. Son ersatz d’existence hume.
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Caleb Mancuso

- Attachiant de service - Punching-ball adoré!

Caleb Mancuso

Signalement : Hume Evolus d'environ trente ans, pas très grand (1m72) et peu épais en ce moment, cheveux châtains, yeux noisette, bel homme, vêtements de très belle facture, pas de cicatrice visible quand il est habillé à part une entaille en virgule sous l'oreille gauche


Kwi Rough Project Vide
MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime03.05.09 14:21

Rodrigue s'était détourné du reflet de Caleb en silence, avec une expression gênée qui tenait de la rancoeur, et pendant quelques secondes le Techie avait négligé l'ambiance sans cesse plus pesante des ruines pour s'autoriser à croire que la barman serait dorénavant le pire de ses problèmes. Que son employé aurait du mal à lui faire encore confiance, à présent qu'il savait que le trafiquant lui avait caché quelque chose d'aussi énorme que sa pratique de la magie. Que leur voyage jusqu'à Secaria serait particulièrement embarrassant, entrecoupé de quelques piques acides et de nombreux silences. Que de surcroît Caleb allait devoir faire avec une sacrée migraine et un début de fièvre, parce qu'il était en train d'obliger son esprit épuisé à faire de la magie et que son implant de Techie allait rapidement se faire assez brûlant pour faire chauffer son sang.

Puis ils s'étaient jetés sur la porte de sa prison, le reflet de Caleb avait brutalement déchiré le voile rough qui protégeait la serrure des coups d'épaules de Rodrigue, et le Techie avait enfin réalisé qu'une probable dispute avec son barman était le plus petit des cadets de ses soucis.

Un instant de joie douloureuse, tandis qu'il ouvrait ses véritables yeux et que son reflet s'évanouissait en une fantastique gerbe de matière moirée: ça avait marché! Et le laboratoire se mit à hurler, hurler de rage et d'indignation. Les ténèbres semblèrent onduler, le cercle de cendres s'habilla soudain de flammes vertes et glauques qui transformèrent son centre en un trou, une cavité béante et affreuse emplie de cris et de rires déments, de pleurs et d'appels à l'aide, de centaines, de milliers, de milliards de voix qui s'élevaient toutes en même temps, et si Caleb ne les distinguait pas avec la même insupportable précision que Rodrigue, lui aussi eut envie de se mettre à hurler avec elles.

Le Techie se releva aussi vite que possible, insensible à la protestation de son corps transi. Son regard tomba sur le Lespurien, et s'il avait pu il aurait pâli encore davantage. Jamais il n'avait vu Rodrigue avec cette expression, ce regard. Jamais. Il ne savait pas ce que le barman voyait dans les ténèbres pour les fixer de la sorte, mais cela devait être encore pire que ce que Caleb y devinait. Les flammes du cercle s'élevèrent un peu plus, et soudain le Techie eut l'inexplicable mais ferme sentiment qu'ils se trouvaient dans un temple, un temple de poussière et de violence dédié à des choses qu'il vallait mieux ne pas nommer, et que celui qui avait choisi de tracer cet horrible sigle en ces lieux ne l'avait pas fait par hasard.

Rodrigue articula quelque chose que Caleb ne comprit pas, mais cela suffit à arracher le trafiquant à sa macabre contemplation. Sourd aux atroces plaintes de son genou ankylosé, il s'extirpa de cette odieuse pièce aussi vite qu'il le pouvait, en prenant à peine le temps d'entraîner avec lui son barman dont il avait agrippé la manche.

La suite, le Techie ne devait pas s'en rappeler. Son esprit laminé d'horreur était bien trop occupé à concilier panique et fuite pour prendre le temps d'emmagasiner des souvenirs. Il se souviendrait simplement avoir couru, couru de toutes ses forces dans ce couloir écrasé par sa propre fureur et son envie de les détruire. Une impression, incompréhensible et angoissante, que les murs s'étaient mis à mugir, même s'il ne comprenait pas ce qu'ils disaient. Une pluie de plâtre, des griffes de métal qui jaillirent pour déchirer sa manche gauche. Une crevasse dans le sol gondolé, qu'il évita d'un bond. Son genou de braise qu'il ne sentait plus, même lorsqu'il trébucha et faillit s'empaler sur un autre pieu de métal qui avait fort opportunément jailli juste devant lui.

Courir. Juste courir.

Caleb ne reprit véritablement conscience de ce qui lui arrivait que lorsqu'il bondit sur la selle de son cheval - la déchirure qui transperça alors sa jambe droite aurait réveillé un mort. Hagard, shooté à l'adrénaline, il baissa les yeux vers Rodrigue. Et s'il avait été effrayé par l'expression de son barman dans l'obscurité de cette pièce maudite, à présent elle était au-delà de l'alarmant.

"Rodrigue! RODRIGUE!"

Il hurla pour couvrir les rugissements des ruines, pour ramener à lui cet homme qu'il sentait instinctivement ailleurs, perdu dans un monde où la survie n'était pas de mise. Sans succès. Il tendit la main, sans doute pour secouer le barman, ou pour le gifler, en tout cas pour le réveiller, lui dire de s'enfuir, maintenant, tout de suite! Alors un bloc de béton de plus d'un mètre de diamètre s'éjecta hors du plafond pour frôler le flanc de sa monture, qui poussa un hennissement terrifié. Rodrigue flanqua une claque sur la croupe de l'animal, le cheval jaillit en avant, et Caleb eut tout juste le temps de baisser la tête pour éviter de se faire décapiter par le morceau de béton armé qui venait de se jeter en travers de la sortie.

Puis il fut dehors.

Caleb porta vivement une main à ses yeux, ébouis et meurtris par la force blanche du blizzard à peine apaisé, et ce faisant il ne pensa pas à arrêter la course de son cheval qui fuyait au triple galop. Il volait plus qu'il ne courait à travers la toundra, l'écume aux naseaux, les gencives déchirées par le mord. Petit à petit, les clameurs contre-nature des ruines s'engloutissaient dans les sifflements du vent, leur silhouette s'estompait dans la masse des flocons de neige. Caleb ne parvint même pas à regarder en arrière, physiquement sous le choc, assommé par la morsure du blizzard qui s'engouffrait librement dans son manteau ouvert, dans son col libéré par sa cravate desserrée. Sans compter que quelque part au fond de lui, il ne voulait pas s'arrêter. Il ne voulait pas y retourner. Rien à foutre de Rodrigue: lui, au moins, il était dehors, il était vivant, il était libre.

"KWIIIII!!!"

Le glapissement fit à Caleb l'effet d'une claque et il eut enfin la présence d'esprit d'obliger son cheval à s'arrêter. La bête protesta, fit un nouvel écart, rua. Le Techie resserra les rênes avec ce qui dans d'autres circonstances aurait été de la cruauté, et enfin l'animal accepta de s'immobiliser, pantelant, les pattes antérieures écartées, tremblant de toutes parts. L'hume sur son dos n'était pas spécialement en meilleur état, mais il parvint tout de même à pivoter sur sa selle. Il le fit assez vite pour surprendre l'éclair rubicond qui fusait hors de sa sacoche.

"Chips, non!"

Le Techie étendit le bras si brutalement qu'il se fit mal à l'épaule et il parvint à attraper la queue du reptomarsupial juste au-dessus du toupet bleu sur lequel elle s'achevait. Chips émit un glapissement de douleur et de détresse, et lorsque Caleb ramena l'animal à lui, il constata avec un choc que de grosses larmes noyaient les iris dorés de son compagnon à quatre pattes.

"Chips..."

"Kwi Rodrigue, kwi... kwiiii... chercher... Rodriiigue..."

"Mais... non, tu ne peux pas, tu... il va arriver..."

Caleb serra le petit corps tremblant contre son torse avant de lever les yeux vers le mur défoncé du réfectoire, à une centaine de mètres de là. Il s'attendait sincèrement à voir le hongre noir du Lespurien en émerger d'un instant à l'autre. Mais ce qu'il vit en lieu et place lui donna l'impression que le blizzard soufflait à présent à l'intérieur de son propre ventre. De la fumée s'échappait des ruines. Et cette masse sombre, effondrée juste avant la sortie, en partie dissimulée par les tourbillons de neige, est-ce que c'était...

La prise de Caleb se resserra insensiblement sur Chips, qui s'accrocha à son gilet avec un nouveau sanglot. A une telle distance, à travers la tourmente, le Techie n'était pas certain de ce qu'il voyait. Mais il le soupçonnait fortement.

Visiblement, il venait de perdre l'argent de Rufus.

"Rodriiiiiigue..."

Le trafiquant se remémora soudain ce qu'il avait pensé, lorsque la porte s'était fermée derrière-lui: ce n'était peut-être pas lui que les ruines voulaient isoler. Comme au ralenti, il compara en esprit ce qu'il avait deviné dans le noir et ce que Rodrigue semblait y avoir vu, lui. Il se rappela des hurlements, dans le couloir, des mots qu'il n'avait pas compris. Parce que qu'ils n'étaient pas destinés à lui, n'est-ce pas?

Parce que ce n'était pas lui que cet horrible labo voulait.

Alors Caleb sentit sa panique s'évanouir. Il était calme, décidé. Et pas plus que lorsqu'il s'était jeté à plat ventre sur le quai du métro pour sauver la vie d'Asphodèle, il ne prit le temps de réfléchir ou de douter. Il savait ce qu'il avait à faire.

"Reste-là, tu m'entends Chips? C'est un ordre. Tu restes là."

Sans laisser le temps à la bestiole d'approuver ou de protester, il la fourra sans ménagement dans sa sacoche rembourrée avant d'attacher le rabat de manière à ce que le reptomarsupial ne puisse pas en sortir. Puis il talonna sèchement le cheval bai toujours sous le choc pour lui faire faire demi-tour. La pauvre bête consentit à se rapprocher un peu des ruines, mais pas à moins de cinquante mètres. Tant pis, ce serait suffisant. Caleb ferma grossièrement son manteau, renfila vivement ses gants. Puis il se baissa sur l'encolure de sa monture et s'y cala du mieux qu'il put, en enroulant ses poignets dans les rênes. S'il était assez rapide, il n'avait pas de raison de tourner de l'oeil. Mais s'il s'évanouissait, il fallait impérativement qu'il reste en selle: aussi attentif qu'il fût, Rodrigue ne prendrait sans doute pas le temps de hisser un corps inerte sur un cheval avant de s'enfuir le plus loin possible de cet enfer. Enfin, la question ne se posait que si le Lespurien était toujours en vie.

Le Techie souffla profondément, et son reflet en premier stade apparut à côté du cheval. D'un regard, le trafiquant le propulsa en avant, jusqu'à l'entrée des ruines. Puis il ferma les yeux, pour mieux les rouvrir dans la peau de son clone.

Ce qu'il vit alors, Caleb ne le comprit pas. Vraiment pas, comme si ses sens eux-mêmes refusaient d'admettre ce qu'ils percevaient. A travers son reflet magique, il percevait bien la chaleur des flammes, les grondements des murs roughs. Il sentait l'odeur de plâtre brûlé, les relents de chair calcinée. Son regard était noyé de rouge et d'or, comme devant tout incendie. Mais le corps hume qui se dessinait dans les flammes, avec les flammes, cela, ce n'était pas possible. C'était une insulte à la réalité, une insulte d'autant plus terrible que la présence suintait la colère et le sadisme tandis que sa cape de flammes gagnait l'ensemble du réfectoire, tandis que ses jambes mal dessinées se coulaient vers la sortie. Vers la herse de fer qui s'y était soudain érigée, comme les barreaux d'une prison de cauchemar. Vers la silhouette gémissante prostrée contre elle.

"Rodrigue! Par l'Etat, RODRIGUE! BOUGE!"

Rodrigue ne bougea pas. La silhouette en détourna brièvement son visage sans traits distincts pour émettre vers Caleb ce qui ressemblait à un grognement, et le Techie sentit une bouffée de fureur noyer sa réflexion:

"Tu crois que tu me fais peur, mon salaud?! Tu crois que je vais te le laisser?!"

Non. Non, pas après ce qu'on lui avait infligé dans cette pièce, pas alors que Rodrigue l'avait attendu alors qu'il aurait pu le laisser tomber, pas alors que Caleb lui-même avait fait l'effort de revenir. Et enfin parce qu'il était hors de question qu'un labo rough de merde prenne la vie d'un hume qui servait si bien le Gerety!

Le trafiquant parcourut vivement la grille improvisée du regard, avant de s'avancer vers un piquet qui lui semblait moins bien enfoncé dans le sol que les autres. L'être de flammes mugit et se détourna complètement de Rodrigue, mais pas assez vite pour empêcher Caleb d'arracher la barre de métal au béton et de se faufiler à travers l'espace ainsi dégagé. Le Techie jeta un coup d'oeil à son barman, et fausses excuses parlant de Gerety ou pas, il sentit son estomac se contracter: le Lespurien était dans un état abominable. Du sang coulait en abondance de son cuir chevelu entaillé, une brûlure immonde avait calciné la plus grande partie de son épaule. Il tremblait. Et il posait sur le monstre ardent le même genre de regard que Caleb devait adresser à Kyle Malaras. Celui d'un désespéré qui suppliait son tortionnaire d'aller vite.

L'incendie se gonfla avec un terrible rugissement, et sans réfléchir le Techie balança de toutes ses forces son piquet de métal à travers ce qui servait de poitrine à la créature. Il y eut un claquement dans son esprit, comme lorsqu'il avait déchiré la barrière rough de sa prison, et le feu s'effondra sur lui-même avec un sifflement strident de fauve blessé. Sans ménagement, Caleb en profita pour flanquer un coup de pied à Rodrigue comme on gifle une hystérique: il avait trop peur pour se montrer délicat.

"Debout! Bouge-toi, allez!"

Il se baissa pour attraper le Lespurien par ce qui restait de son manteau et l'obliger à se relever, avant de le pousser sans précautions vers l'espace ménagé dans la grille. Et ce fut à peu près à cet instant que de délirante, la situation devint totalement incontrôlable. Le plafond s'effondra en une effroyable cascade de métal et de béton, le feu se jeta sur eux comme une bête folle de rage, il y eut un souffle brûlant, Caleb se sentit projeté contre Rodrigue, quelque chose céda sous leur poids conjugué, déchirure, mouvement, un mur qui s'écroule, le vent, la fumée, le contact du sol pierreux contre sa joue.

Choc. Douleur.

Indescriptible. Atroce. Douleur.

Caleb eut un haut-le-coeur et une gerbe de sang passa ses lèvres, celles du reflet comme celles de son véritable corps. Un regard en arrière, sans force, vers la grille qu'il avait finalement réussi à passer. Un peu plus brutalement que prévu cela dit. Il s'était senti propulsé en avant, il avait senti la barre de métal en travers de ses reins.

Avec une stupeur risible, il réalisa qu'il manquait un morceau de son corps. Un sacré morceau. Pour être précis, tout ce qui se situait en-dessous de la taille.

Il eut le temps de voir l'une de ses jambes, coincée sous un bloc de béton. A trois mètres de là.

Le reflet ensanglanté disparut. Et avec lui s'en fut tout le reste.
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Rodrigue Llorandes

- Un dernier verre ? Mmh ? - Innocent perverti

Rodrigue Llorandes

Signalement : Hume, la trentaine, carrure solide, 1m85, cheveux noirs, yeux bleu pervenche, cicatrice sous l'oeil gauche.


Kwi Rough Project Vide
MessageSujet: Re: Kwi Rough Project   Kwi Rough Project I_icon_minitime03.05.09 19:06

C’était ça, une voix.

Une voix qui criait, elle aussi. Mais pas avec cette rage qui lui brisait le dos, pas avec cette haine qui le noyait dans l’impuissance de ses sept ans.

Rodrigue cilla à peine. Il reconnaissait la voix de Caleb, mais son œil restait fixé, éperdu de détresse, sur la silhouette fulminante de son père. Son père qui avait attendu toutes ces années pour se venger, pour, enfin, détruire la seule personne qui aurait dû tomber de cette fenêtre ce jour-là.

« …ne voulais pas… Je te jure… »

Ses cheveux noirs retombaient sur son front, collés par le sang. Il savait même plus ce qui avait blessé son front. Il ne sentait plus la douleur de cette coupure, ni la brûlure toujours vive qui suppliciait son omoplate, où à la chair ensanglantée adhérait sournoisement le tissu brûlé de sa chemise blanche. Toute cette souffrance physique était devenu diffuse, renvoyée à un plan secondaire et comme étranger à ses perceptions. Le feu dans sa tête dévorait tout, s’étalait partout. Le brasier de cette haine intruse pillait ses souvenirs pour alimenter ses flammes.

Et il y croyait.
Il croyait sincèrement que son père était revenu jouer avec lui. Il croyait avec une évidence presque égale qu’il avait sept ans, que le froid qui mordait sa nuque était celle de Twinkil, que ce laboratoire était le salon de cette maison sinistre où il avait vécu autrefois. Son champ de vision s’était disloqué, mué en une hallucination d’une violence rare, d’une netteté qui ne supportait plus aucun doute.



Je suis…chez moi.

Et je n’ai pas eu le temps de me cacher.






Quelque part dans le blizzard du nord de Sécaria, un homme de trente ans levait lentement, d’une façon quasi saccadée, ses mains vers son visage. Et ses ongles meurtrirent son cuir chevelu, et ses poignets secs tremblèrent, et ses lèvres s’entrouvrirent d’horreur. Ses yeux, rendus parfaitement violets à la lumière insane de l’incendie, étaient grands ouverts, noyés de larmes qui refuseraient à jamais de s’écouler.


« Arrête, arrête…Je…ne voulais pas ! »


Voilà ce qu’il aurait dû dire, depuis le début. Peut-être que son père l’aurait écouté, peut-être l’aurait-il crû, et l’aurait sauvé de l’amour tordu de sa mère. Mais là, c’était trop tard. La fenêtre était béante, brisée. Et cette fois-ci, il ne pourrait pas prendre la fuite, parce que les clefs tintinnabulantes avaient verrouillées la porte de la maison. Elles cliquetaient encore, dansantes sous la poignée. Il l’entendait si parfaitement. Le tintement moqueur du métal.


Rodrigue laissa échapper un sanglot. Ce genre de gémissement d’agonie qu’on ne peut pousser que lorsque l’on se sait seul au monde, ou, que de ce monde-ci, on n’en a plus rien à faire. Il entendit encore un éclat de voix.

Qui ?

Le brun releva légèrement la tête, et posa un regard absent, quoique passablement stupéfait, sur la silhouette de Caleb qui venait de se faufiler à travers les barreaux de sa prison.

Les barreaux. Oui, tu sais... Là, dans le labo où tu vas crever dans quelques instants.

Rodrigue reçut le coup de pied sans broncher – ou presque. Il était trop occupé à fixer la forme du brasier effondrée sur lui-même avec un sentiment d’horreur mêlé d’un soulagement si vertigineux qu’il en devenait blessant. Il vit Orféo, dévoré par son linceul de flammes, tituber et tomber en arrière. Ou, son père – son père, vraiment, pas la forme taillée dans le feu – tomber, encore, la poitrine éclatée par un projectile. Son père, qui hurlait sa rage, une dernière fois.



Oh, jamais tu ne te calmeras, Papa ?... La fureur de ton sang, j’en ai hérité.

Et par pitié, sauvez-moi, si vous m’entendez. Sauvez-moi, tuez-moi, mais ne me laissez pas seul avec moi-même.




Rodrigue inspira longuement, comme s’il avait cessé de respirer jusque là. La fumée âcre lui brûla les poumons, et il toussa violemment. Ce qui l’aida plus ou moins à rassembler les bribes qu’il lui restait de raison, pour recomposer sa véritable situation.
Non. Ce n’était pas son père. Il était mort, par l’Etat ! mort empoisonné par ses soins, mort dans la fange noire d’une culpabilité jamais avouée, jamais comprise. Rodrigue était plié en deux, les mains vaguement serrées sur sa cuisse endolorie, secoué d’une toux rauque et entièrement livré au tourment de sa brûlure irritée par les cendres volatiles.
Une main plongea, se referma sur son manteau. Et Rodrigue se sentit soulevé de terre dans un manège de lumière des plus nauséeux. Il parvint à peine à tenir sur ses jambes, et focalisa avec difficulté son regard sur Caleb.




Caleb ? Il était revenu… ?


Dans cette fraction de seconde, étirée comme un pernicieux ressort avant le claquement fatal, il dévisagea, muet, le visage furieux du Techie. Il se sentit poussé de l’avant. Ces yeux étaient comme de l’or en fusion ; mais moins effrayant que le regarde de l’homme tapi dans les flammes. Oui, c’était différent. Il y avait la beauté du soleil de Lespure logée au coin de ces yeux là.




Ah.





La déflagration fut d’une violence surréaliste. Énergie rough et onde de choc purement physique, rage du minéral et fureur primaire d’un éboulement ; tout fut instantanément confondu, pulvérisé dans le même ultime soubresaut de brutalité.
Rodrigue sentit confusément son corps projeté vers l’avant, et heurter durement le tapis de neige de l’extérieur, puis rouler dans la neige noircie de cendre. Le froid incendia sa brûlure. Et Rodrigue sortit enfin de son mutisme pour pousser un hurlement cassé. Son dos se cambra, et il se coula sur le côté dans un râle de douleur. Après quelques secondes durant lesquelles il haleta en s’évertuant à juguler la débâcle de ses nerfs, il parvint à ouvrir ses yeux.

Qui, au bout d’une longue seconde d’une incrédulité épouvantée, s’agrandirent démesurément.

« C…Caleb… »

A quelques mètres de lui, bien plus près des ruines fumantes de cette aile du laboratoire, gisait le corps du Techie. Et une correction instinctive de son esprit acheva de le faire sombrer dans un effroi plus abyssal : non, il n’en voyait qu’une partie seulement. Le souffle du Lespurien se tarit dans sa poitrine, figé par trop de froid, ou par trop de stupeur.
Il baissa vaguement les yeux sur son propre corps, comme pour échapper à cette vision hautement dérangeante. Il y avait du sang sur son manteau ; et il savait que ce n’était pas le sien.
C’était…incompréhensible.

« Caleb, bon sang... »

Son expression se décomposa. Et presque aussitôt, le double s’effrita dans un bruissement moiré, laissant s’évaporer toute trace de mort dans ce décor de ruines. Le Lespurien inspira, heurté de plein fouet par une évidence salvatrice. Un double. De la magie. Bien sûr.

Et il rit. Nerveusement, tout en essayant d’oublier ce qu’il avait pensé en croyant constater la mort de Caleb, cette notion inédite de regret intense face à la disparition d’un être hume. Cela lui faisait peur. Rodrigue se releva alors, non sans difficulté. Il était encore secoué, mais l’effondrement du réfectoire ne l’avait pas blessé. Parce que le corps de ce double l’avait protégé.

Rodrigue frémit, le souffle court. Le vent soufflait encore un peu, et agitait les pans de son manteau partiellement brûlé. Ses cheveux noirs flottaient autour de son visage délavé de toute couleur. Il regarda anxieusement les ruines. Là-bas, dans l’ombre, une silhouette hume se tenait immobile, à moitié avalée par les ténèbres denses : il n’en voyait que ses jambes minces et nues, tâchées de sang, et sa main gauche tendue vers lui, fixe.
Le Lespurien se détourna silencieusement du fantôme anonyme, avec un goût d’écœurement au fond de la gorge. Il était trop abruti par sa douleur physique pour être encore effrayé par les manigances du laboratoire. La seule idée qui demeurait désormais inamovible dans son esprit, c’était Caleb.

Il jeta un regard circulaire, et distingua assez vite la silhouette relativement lointaine du cheval bai. Un sourire vacilla sur ses lèvres, et il tituba mollement pour le rejoindre, s’attendant à trouver le vrai Caleb juché sur sa monture, en bonne santé, et prêt à le guider jusqu’à Sécaria.
Sauf que lorsqu’il approcha enfin de près le cheval, il aperçut le corps du Techie inerte, penché sur le col poudré de flocons de sa monture. Son cœur rata un battement.

« CALEB ! »

Méprisant l’ignoble glissement de sa chemise lacérée contre sa brûlure, il éleva les bras vers son patron, encadrant son visage de ses mains pour lui taper les joues et tenter de lui faire reprendre connaissance. Il était effroyablement pâle, et au contact de ses mains les lèvres gercées laissèrent s’écouler un peu plus de sang, d’un rouge soutenu. Rodrigue faillit esquisser un geste de recul, et la violente vision du corps démembré revint s’imposer à son regard, obscène par trop de netteté. Il déglutit faiblement, et glissa une main sur la gorge du Techie pour y débusquer le plus infime pouls. Il sentit effectivement le sang brûlant pulser sous ses doigts.
Le Lespurien ôta ses mains tremblantes tout en lâchant un long soupir. Un mouvement au coin de son œil valide attira son attention ; la sacoche de voyage s’agitait furieusement et émettait des couinements furieux. Rodrigue déboucla mécaniquement la sangle, l’esprit évidé de toute pensée, et laissa émerger un Chips ému aux larmes. Ce dernier se jeta sur lui en l’appelant à travers moult « Kwi ! » désespérés, puis tourna la tête vers Caleb avec une évidente inquiétude scandalisée.
Le barman caressa faiblement la tête du reptomarsupial, et murmura d’une voix étrangement cassée :

« Ça va aller, mon gros…Il est vivant. »

Formuler ce constat à haute voix sembla décharger sa poitrine de quelques tonnes.

« …Et je vais pas le laisser tomber. On va rentrer à la maison, maintenant… »

Les yeux mi-clos, un sourire éreinté au coin des lèvres, il déposa avec douceur Chips dans sa sacoche. Il était bien trop nerveux pour rester immobile ; et le cheval bien trop épuisé pour supporter le poids de deux cavaliers. Rodrigue n’agît alors que par une série d’automatismes bien rôdés : il se saisit du licou, flatta et encouragea silencieusement la monture à avancer. Marcher, et laisser le vent froid baigner sa tête nue lui remis les idées au clair. Et il en avait grandement besoin. Premièrement, pour se concentrer sur la direction à prendre – par miracle, le blizzard s’était suffisamment adouci pour qu’il distingue une lueur diffuse au loin, qui ne pouvait être que la débauche lumineuse de la capitale qui transparaissait dans l’obscurité de la tempête. Secondement, pour ensevelir consciencieusement tout ce qu’il avait enduré dans ce maudit « asile » ; oublier le rêve, l’iris, les hurlements de damnés derrière cette porte, le sourire mauvais de cet homme, la peur de Caleb, et ce corps déchiré sous ses yeux pour le sauver…
Ah, non. Caleb lui avait sauvé la vie ; il ne pouvait même pas l’oublier. Car il était toujours incapable de qualifier ce geste, ni de définir ce qu’il ressentait en y repensant. Il allait sans aucun doute ressasser longtemps cet épisode incongru, peut-être sans jamais y trouver de solution.
Sa main nue et rougie par le sang du Techie se serra sur la bride, mais son esprit se laissa au contraire aller à une torpeur reposante, où il s’imaginait déjà franchir les portes nord de la ville, et échapper enfin à la tempête, au vent hurlant et à la neige jamais tout à fait blanche de cette steppe haineuse.
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